Les énergies renouvelables sont-elles intermittentes ?

Pour certains, les énergies renouvelables ne peuvent ni ne doivent faire l’objet d’un développement ambitieux car, étant intermittentes, elles ne peuvent pas répondre à tout instant à un appel de consommation d’électricité. Elles devraient donc rester marginales, sous peine de voir éclore des centrales à gaz ou à charbon - émettrices de gaz à effet de serre - afin de pallier les pannes de production, en l’absence de vent et de soleil. Mais peut-on réellement qualifier d’intermittentes les énergies renouvelables, et posent-elles de tels problèmes ?

Pour certains, les énergies renouvelables ne peuvent ni ne doivent faire l’objet d’un développement ambitieux car, étant intermittentes, elles ne peuvent pas répondre à tout instant à un appel de consommation d’électricité. Elles devraient donc rester marginales, sous peine de voir éclore des centrales à gaz ou à charbon - émettrices de gaz à effet de serre - afin de pallier les pannes de production, en l’absence de vent et de soleil. Mais peut-on réellement qualifier d’intermittentes les énergies renouvelables, et posent-elles de tels problèmes ?

Certaines énergies renouvelables électriques (et non l’ensemble des énergies renouvelables) ont effectivement une production variable, discontinue et non programmable, car dépendantes des conditions météorologiques et du cycle jour/nuit. C’est notamment le cas de l’éolien et du photovoltaïque, pour lesquels nos connaissances en matière de météo permettent cependant d’anticiper les variations de production.

En fait, la question de la variabilité de la production ne se pose pas à l’échelle d’une éolienne ou d’une toiture photovoltaïque, mais doit être regardée sur l’ensemble du réseau électrique. Grâce à la répartition géographique des installations sur l’ensemble d’un territoire comme la France, les variations de production locales sont lissées : on n’observe jamais des centaines d’éoliennes s’arrêter en même temps, de façon brutale.

Nullement intermittentes – contrairement à la production des centrales thermiques de forte puissance – l’éolien et le photovoltaïque contribuent en fait à la réduction de la production d’électricité d’origine fossile et nucléaire.

Intermittence ou variabilité ?

Affirmer le caractère intermittent des énergies renouvelables est un mélange de raccourcis et d’approximations.

Tout d’abord, cette formulation d’intermittence ne fait généralement référence qu’à l’éolien et au photovoltaïque, c’est à dire à deux sources renouvelables d’électricité. Rappelons que l’électricité ne représente que 20 % de notre consommation d’énergie finale, et que la première source actuelle d’énergie renouvelable en France (et celle qui présente le plus grand potentiel) est la biomasse, qui ne présente aucun caractère d’intermittence ni de variabilité instantanée.

Pour l’électricité, si l’éolien et le photovoltaïque concentrent toute l’attention du fait de leur développement actuel, d’autres sources renouvelables – comme l’hydraulique de barrage – sont beaucoup plus facilement programmables. Résumer les sources d’électricité renouvelable à l’éolien et au photovoltaïque, c’est omettre le caractère complémentaire des différentes sources d’énergie.

Enfin, plutôt qu’intermittente, la production d’électricité à partir d’éolien ou de photovoltaïque doit être considérée comme variable, comme le fait RTE, gestionnaire français du réseau de transport d’électricité (cf. figure 4).

Le terme intermittence renvoie à une image d’interrupteur on/off, dont la position pourrait varier sans prévenir ; ou à l’image d’une connexion téléphonique sur une route de montagne : parfois le réseau est bon, parfois il est inexistant. Or les éoliennes ou les panneaux solaires ne s’arrêtent pas brutalement de fonctionner, passant d’un maximum de production au néant. C’est encore plus vrai lorsqu’on ne se concentre pas sur une seule installation mais si on observe l’ensemble du parc de production éolien ou photovoltaïque, où le foisonnement des installations lisse les courbes de production (voir ci-dessous).

La notion d’intermittence correspond finalement davantage à la production d’électricité issue des centrales thermiques de forte puissance qu’aux énergies renouvelables. RTE fournit sur son site web une information sur les arrêts imprévus de plus de 100 MW affectant les centrales et groupes de production situés en France métropolitaine (hors Corse)1. L’analyse des données 2014 relatives au parc nucléaire français donne un peu plus de 260 arrêts fortuits affectant l’un ou l’autre des 58 réacteurs opérationnels, soit 5 par semaine environ. En moyenne, la perte de production est de 680 MW en quelques secondes et peut atteindre jusqu’à 1 500 MW2. Une telle situation, qui figure parmi les plus importants risques d’effondrement du réseau, équivaut à l’arrêt brutal et quasi-simultané de plus de 600 éoliennes fonctionnant à pleine puissance, ce qui techniquement ne peut pas se produire.

Des sources de production d’électricité variables, mais lissées et prévisibles

Le vent et l’ensoleillement n’étant pas constants, la production d’électricité issue de ces deux sources est naturellement variable. Elle est cependant lissée, à l’échelle de l’ensemble des installations d’un territoire, grâce à plusieurs phénomènes.

  • Nous disposons en France de trois grands régimes de vent indépendants les uns des autres : méditerranéen, atlantique et continental. Cette particularité géographique nous permet de bénéficier d’une production éolienne plus régulière que celle d’autres pays européens : même si cela peut se produire, il est rare que ces trois régimes de vent soient au calme plat au même moment.
    La production éolienne ne varie donc pas de façon uniforme sur tout le territoire français. RTE explique ainsi dans son bilan électrique 2013 : « lorsque la production est faible dans une région, elle peut être forte dans une autre, ce qui montre l’intérêt de la mutualisation des productions régionales via le réseau »3. La figure suivante montre comment la production peut être faible en région Centre mais forte en Languedoc-Roussillon dans la matinée, la tendance s’inversant au cours de la journée.
    ProductionEolienne_RTE
Figure 1 : Production éolienne en France le 16 janvier 2013 – Source : Bilan électrique, RTE, 2013
  • De nouvelles générations d’éoliennes sont apparues sur le marché depuis quelques années. Bénéficiant de pales plus importantes, elles garantissent un nombre annuel d’heures de fonctionnement plus élevé et une production plus régulière, y compris sur des sites moins ventés que ceux qui sont équipés aujourd’hui. Le développement attendu de l’éolien offshore viendra lui aussi renforcer ce phénomène, les vents étant plus constants en mer qu’à terre.
  • Le foisonnement de la production photovoltaïque fonctionne sur le même principe que pour l’éolien : les masses nuageuses ne couvrent jamais l’intégralité du territoire… et sont très rarement totalement absentes. Là encore, RTE montre bien dans ses rapports comment, sur une courbe typique de production suivant le rythme jour/nuit, « l’effet de foisonnement engendre une variabilité moindre au niveau national qu’à la maille régionale », plus sensible, entre autres, au passage de nuages localisés (voir figure suivante).

Figure 2 : Illustration du foisonnement du facteur de charge photovoltaïque (production instantanée en pourcentage de la puissance installée) - exemple du 15 mars 2013 (source : RTE, bilan électrique 2013)

Figure 2 : Illustration du foisonnement du facteur de charge photovoltaïque (production instantanée en pourcentage de la puissance installée), exemple du 15 mars 2013 – Source : Bilan électrique, RTE, 2013

Outre ces foisonnements propres à chaque filière, il faut tenir compte de leur complémentarité. L’analyse des historiques de production montre que l’éolien et le photovoltaïque, au-delà de leurs variations à un pas de temps faible, peuvent se compléter à l’échelle de la semaine ou du mois : le déficit de production d’une filière tend alors à être compensé par la production plus importante de la seconde (voir figures suivantes).

1.3 Complémentarité éolien-PV
Figure 3 : Variabilité hebdomadaire des productions éolienne et photovoltaïque en Allemagne en 2013 – Source : Institut Fraunhofer
 
Figure 4 : Variabilité mensuelle des productions éolienne et photovoltaïque (source : RTE, document de travail)
Figure 4 : Variabilité mensuelle des productions éolienne et photovoltaïque – Source : RTE (document de travail)

À l‘échelle du réseau national, foisonnements et complémentarités empêchent de brutales variations de la production électrique renouvelable, qui pourraient mettre en péril le système électrique. Cela est d’autant plus vrai que le gestionnaire de réseau sait très bien prévoir les évolutions de productions éoliennes et photovoltaïques, donc anticiper les moyens de production complémentaires à mettre en route. Ainsi, RTE fournit chaque soir à 18h des prévisions sur les productions éoliennes du lendemain, qui sont réactualisées heure par heure au cours de la journée suivante4.

Figure 5 : Estimation de la production éolienne du 3 janvier 2015 – Source : RTE

Pour le solaire photovoltaïque, RTE publie également la veille à 18h des prévisions de production, actualisées le jour J vers 8h5.

En l’absence de vent et de soleil, nul besoin de gaz fossile ou de charbon

Le développement de l’éolien ou du photovoltaïque ne s’accompagne pas du besoin d’installer de nouvelles centrales à gaz ou au charbon.

Tout d’abord, comme on l’a vu précédemment, les périodes sans vent ni ensoleillement sont rares. Ensuite, lorsqu’il y a effectivement des productions éolienne et photovoltaïque moins importantes, d’autres énergies peuvent prendre le relais. C’est notamment le cas de l’hydraulique dit « éclusé », source d’électricité facilement programmable, et dans la situation que l’on connaît aujourd’hui, du nucléaire, qui suit d’ores et déjà les fluctuations de la consommation d’électricité française. Le relais sera également de plus en plus possible avec le développement des centrales thermiques fonctionnant aux énergies renouvelables.

Enfin, des moyens d’effacement de la consommation ou encore de stockage d’électricité (comme les stations de transfert d’énergie par pompage) permettent de pallier les déficits de production éolienne ou photovoltaïque.

Grâce à ces différentes solutions disponibles, le gestionnaire du réseau électrique n’a nullement besoin de recourir davantage aux énergies fossiles lorsque les capacités installées d’éolien et de photovoltaïque augmentent. Au contraire, le développement de ces sources d’électricité permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre, que RTE commence à mesurer régulièrement dans ses bilans électriques : il soulignait ainsi en 2013 que la « forte érosion de la production de la filière gaz […] s’explique [entre autres] par le développement des capacités de production d’énergie renouvelable » ; et pointait en 2014, parmi « plusieurs facteurs [qui] contribuent à une production en forte baisse [des centrales thermiques à combustible fossile], la progression des productions éolienne et photovoltaïque. »

La rumeur selon laquelle toute installation d’un MW éolien ou photovoltaïque doit s’accompagner de l’installation d’un MW thermique supplémentaire en « backup » est donc totalement erronée. C’est le contraire qui est observé par RTE : « la production éolienne (et plus généralement renouvelable) vient […] limiter le recours aux centrales thermiques fossiles en Europe et les émissions de CO2 associées. »6

Loin d’afficher un comportement intermittent caricatural, les énergies renouvelables électriques sont au contraire complémentaires entre elles, et permettent de diminuer le recours aux centrales à gaz ou au charbon. L’éolien et le photovoltaïque présentent évidemment des variations de production, mais elles sont lentes, lissées grâce au foisonnement des installations à travers le territoire national et largement prévisibles à court terme.

Ces sources de production d’électricité sont donc variables, discontinues mais complémentaires. Couplées à des moyens de production programmables, à des installations de stockage comme l’hydraulique ainsi qu’à des dispositifs de flexibilité, l’éolien et le photovoltaïque peuvent connaître un développement soutenu, sans mettre en péril le réseau d’électricité. Jusqu’à imaginer un mix électrique 100 % renouvelable ?

  1.  Indisponibilités des moyens de production, RTE, disponible sur : clients.rte-france.com/lang/fr/visiteurs/vie/prod/indisponibilites.jsp
  2. Comme le 6 juillet 2014 à Chooz.
  3. Bilan électrique, RTE, 2013, disponible sur : www.rte-france.com/sites/default/files/bilan_electrique_2013_3.pdf
  4. Ces prévisions sont accessibles sur http://clients.rte-france.com/lang/fr/visiteurs/vie/prod/prevision_production.jsp?t=eolien ; disposant d’une marge d’erreur de seulement 3 %, elles peuvent être facilement ajustées en permanence par des moyens pilotables.
  5. Prévisions de production solaire en France, RTE, disponible sur : clients.rte-france.com/lang/fr/visiteurs/vie/prod/prevision_production.jsp?t=solaire
  6. Contribution au débat public Parc éolien des Deux Côtes – Question sur les besoins de moyens thermiques qu’induirait le développement des éoliennes, RTE, 2010.
Crédit photo : ALE 08 – Christel Sauvage