Évolution de la consommation d’électricité
La première idée reçue porte sur l’augmentation inéluctable de la consommation d’électricité. Elle conduit Sylvestre Huet à contester, au nom de la croissance de la population et de nouveaux usages, la baisse retenue par l’Ademe (de 465 TWh en 2014 à 422 TWh en 2050).
Certes le « scénario de référence » du Bilan prévisionnel 2015 de RTE1, qui intègre l’apparition de véhicules électriques mais aucun effort particulier sur la réduction de la demande, prévoit 1,5 % de consommation supplémentaire d’ici à 2019 (de 477 TWh en 2014 à 484 TWh en 2019). RTE retient néanmoins pour 2030 un chiffre inférieur : 448 TWh. Et depuis plusieurs années, chacune de ses nouvelles prévisions est moins élevée que les précédentes.
L’amélioration thermique des bâtiments, le recul du chauffage électrique et l’efficacité croissante des équipements, sans parler de la hausse inéluctable du prix du kWh, vont prolonger cette tendance structurelle à la baisse, qui n’a rien d’une vision idéologique. Bonne nouvelle : la maîtrise de la demande d’électricité est devenue en France une réalité mesurable ! C’est aussi le cas dans d’autres pays européens, où la consommation d’électricité est en diminution.
Le scénario Vision 2030-2050 de l’Ademe, sur lequel s’appuie l’étude 100 % renouvelable, ne fait ainsi que projeter une généralisation progressive des solutions les plus performantes disponibles dès aujourd’hui.
Cette baisse modérée est surtout cohérente avec l’objectif de division par deux de la consommation d’énergie finale en 2050, inscrit dans l’article premier de la loi de transition énergétique adoptée été 2015. Un objectif lui-même indispensable pour atteindre le facteur 4 sur les émissions de gaz à effet de serre.
Impact de la pointe hivernale
Deuxième point de discorde avancé par Sylvestre Huet : les hypothèses de modélisation en puissance retenues par l’Ademe, dont le trop faible niveau à ses yeux de la pointe hivernale, fixé à 92 GW alors que le record a dépassé 102 GW en 2012.
Cette pointe de consommation, qui est pour près d’un tiers liée à un chauffage électrique de mauvaise qualité dans des logements souvent mal isolés, conduit actuellement à importer massivement d’Allemagne de l’électricité très carbonée.
Là encore, même avec de nouveaux usages, la réduction prévue de la pointe est en fait prudente par rapport aux gains attendus de travaux d’isolation et d’installation de chauffages plus performants, dont personne ne peut contester la nécessité environnementale et sociale ! Cette valeur de 92 GW pourrait donc être encore revue à la baisse. À titre de comparaison, le maximum de consommation électrique observé en Allemagne entre 2012 et 2015 est de 79 GW2, dans un pays pourtant plus peuplé que la France (66,3 contre 80,8 millions).
Vers un mix 100 % renouvelable ?
Sylvestre Huet dénonce par ailleurs l’absence dans l’étude Ademe de recours éventuel (« back-up ») au gaz pour compenser la fluctuation des énergies renouvelables3. Il évoque pour cela une étude de 2012 du Fraunhofer Institute qui concluait à un besoin important pour l’Allemagne… mais qui ne visait pas un mix 100 % renouvelable !
Il omet en revanche de citer l’étude Kombikraftwerk 2 publiée en 2014 par le même Institut4, démonstration très détaillée de la faisabilité de ce 100 % renouvelable. Pourtant, elle répond à sa préoccupation légitime sur le maintien de la fréquence à 50 Hertz lorsque les alternateurs de très grande puissance des grosses centrales auront été remplacés par l’électronique de puissance des éoliennes et des systèmes photovoltaïques.
Les conclusions de cette modélisation à l’échelle de l’Allemagne sont nettes : « la baisse de la masse tournante [fournie par les alternateurs] peut être compensée par une mise à disposition plus rapide de réserves d’ajustement de puissance par les installations d’énergies renouvelables et les systèmes de stockage ». Au-delà de la fréquence, ces équipements sont capables de fournir l’ensemble des « services-système » nécessaires au bon fonctionnement du réseau.
Conclusion |
Au fond, les critiques faites par Sylvestre Huet sur l’étude Ademe témoignent d’une méconnaissance des progrès déjà réalisés par la recherche et l’industrie, et d’une forme de résistance au changement.
La vraie question n’est pas la faisabilité d’un mix électrique 100 % renouvelable, qui ne fait plus guère de doute même si certains points restent à préciser, c’est celle de la capacité du système actuel à se transformer. L’étude de l’Ademe ne répond pas à cet enjeu. Elle se contente de donner une image possible du futur – avec du reste des hypothèses de coûts plutôt défavorables aux renouvelables – sans décrire la trajectoire pour y parvenir. Ignorant les dernières avancées en matière d’efficacité comme de performance des renouvelables, les critiques entretiennent la confusion en suggérant que le choix serait entre dépenser inutilement pour transformer le système ou le laisser en l’état. Le cas allemand est de ce point de vue éclairant. Il est tentant de rapprocher les émissions de CO2 plus élevées outre-Rhin de la sortie du nucléaire. En réalité, elles proviennent du choix fait par l’Allemagne, après le choc pétrolier de 1973, de ne pas tout miser sur le nucléaire comme la France, mais d’utiliser aussi le charbon, dont elle dispose abondamment. À l’époque, le changement climatique n’était pas encore une préoccupation. Confrontée au besoin de renouveler son parc, l’Allemagne a choisi une orientation claire et consensuelle. La France feint de croire que son parc nucléaire, pourtant tout aussi vieillissant, ne souffre pas du même problème. Des investissements massifs seront nécessaires dans un avenir proche : le moment est donc venu de faire des choix. L’étude de l’Ademe apporte une contribution importante au débat et c’est précisément ce que les partisans du statu quo nucléaire lui reprochent. |
- Bilan prévisionnel, RTE, disponible sur : www.rte-france.com/fr/article/bilan-previsionnel
- Source ENTSO-E
- Sur la variabilité des énergies renouvelables, lire l’article Les énergies renouvelables sont-elles intermittentes ?
- Voir la synthèse traduite en français par l’Office Franco-Allemand des Énergies Renouvelables (OFAENR) en novembre 2014.