Approximations et fausses affirmations sur les énergies renouvelables : l’exemple des contre-vérités de l’Académie des Sciences

« Dans l'état actuel du débat, nos concitoyens pourraient, à tort, être conduits à penser qu'il serait possible d'instaurer – à marche forcée – la transition énergétique. » C’est en commençant par ces termes que vingt membres de l’Académie des sciences proposent de « rappeler un certain nombre de vérités ». Soucieux de contribuer au débat, nous avons analysé leurs affirmations.

« Dans l'état actuel du débat, nos concitoyens pourraient, à tort, être conduits à penser qu'il serait possible d'instaurer – à marche forcée – la transition énergétique. » C’est en commençant par ces termes que vingt membres de l’Académie des sciences proposent de « rappeler un certain nombre de vérités ». Soucieux de contribuer au débat, nous avons analysé leurs affirmations.

Vingt membres de l’Académie des sciences ont publié en 20171 un plaidoyer pro-nucléaire et anti-renouvelables, relayé par Le Monde2. Leur analyse se résume ainsi : à cause de leur variabilité, les énergies renouvelables ne peuvent pas répondre à l’ensemble des besoins énergétiques, et sont donc vouées à rester à la marge d’un système dominé par les énergies fossiles et/ou nucléaire.

En se focalisant presque uniquement sur la seule question de la production d’électricité, les académiciens oublient d’aborder des sujets pourtant essentiels comme la possibilité d’une évolution à la baisse de la consommation électrique et de la puissance appelée, notamment dans le secteur résidentiel-tertiaire. Dans leur analyse, les auteurs de l’article se font volontiers les relais d’idées reçues pourtant déjà largement réfutées. La transition énergétique allemande est ainsi montrée une énième fois du doigt à cause de sa supposée augmentation de l‘utilisation du charbon et du lignite, alors qu’une simple lecture des statistiques officielles allemandes montre le contraire3.

Une plus grande honnêteté intellectuelle aurait été attendue de la part de membres de l’Académie des sciences.

La transition énergétique ne se résume pas à la seule évolution de la production électrique

L’Académie des sciences commence son article par un rappel : si l’énergie nucléaire représente une part importante de la production électrique française, elle ne couvre aujourd’hui qu’une faible part de nos consommations d’énergie. Si nous ne pouvons qu’être d’accord avec ce constat, il est dommage que la confusion électricité/énergie soit entretenue tout au long de l’article, et que les auteurs ne se focalisent finalement que sur les énergies renouvelables électriques. Ils omettent ainsi de parler du potentiel considérable de développement d’autres ressources renouvelables que sont la biomasse et le biogaz par exemple. Les académiciens résument donc la transition énergétique à la seule question du mix électrique, sans analyse multi-secteurs, multi-vecteurs et multi-énergies.

Par ailleurs, la question de la réduction de la demande d’énergie n’est quasiment jamais évoquée, hormis en toute fin d’article. C’est pourtant un axe fondamental de toute transition énergétique, comme le montre le premier article de la loi française relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui inscrit les principes de sobriété et d’efficacité dans le code de l’énergie, allant même jusqu’à viser « une efficacité et une sobriété énergétiques accrues pour répondre aux défis de la transition énergétique »4 .
La transition énergétique est un sujet complexe. Pour l’appréhender dans son ensemble et pour comparer correctement des solutions entre elles, il est nécessaire de sortir d’un débat focalisé sur la seule production d’électricité et de s’interroger aussi bien sur la demande que sur l’offre, sans se restreindre au système électrique.

La variabilité des renouvelables, un problème insoluble ?

L’éolien et le solaire photovoltaïque (et non l’ensemble des énergies renouvelables comme pourrait le laisser penser cet article) présentent un profil de production variable au cours du temps, mais non intermittent5. Une éolienne fonctionne environ 80 % du temps6, nécessitant l’appui d’autres sources d’électricité lorsqu’elle est à l’arrêt ou en puissance réduite. L’Hexagone a néanmoins la chance de pouvoir compter sur trois grands régimes de vent (continental, atlantique et méditerranéen). Il existe peu de périodes « sans vent » sur l’ensemble du pays, ce qui permet un foisonnement de la production.

Pour pallier à cette variabilité de la production, les auteurs de l’article passent en revue différentes solutions. Leur souhait de ne s’appuyer ni sur les voisins européens pour l’approvisionnement électrique, ni sur les batteries électrochimiques pour garantir l’approvisionnement électrique peut être partagé (sans pour autant affirmer que cela ne sera pas possible). Il convient cependant de relativiser les propos de l’article d’abord sur l’hydraulique, ensuite et surtout sur la production d’hydrogène via la réaction d’électrolyse.

Capacités de stockage hydroélectrique

Si les académiciens affirment que « les capacités de stockage hydroélectrique, en France, sont presque saturées », la vision de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) est bien différente. Elle évalue à 9,3 GW7 la puissance atteignable de STEP, contre 4,2 GW aujourd’hui. RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, évoquait quant à lui en 2014 un gisement de 2 GW supplémentaires atteignable d’ici 20308. Même la Programmation pluriannuelle de l’énergie de 2016, prudente en la matière, envisage une augmentation de 25 à 50 % de la puissance installée entre 2025 et 2030 (+1 à +2 GW), en mettant en avant des contraintes économiques et non l’absence de gisement exploitable9.

Électrolyse et production d’hydrogène

L’article émet ensuite de sérieux doutes sur le développement du « stockage chimique à travers l’électrolyse de l’eau qui produit de l’hydrogène », en précisant : « ces solutions sont pour le moment bien trop chères, leur rendement est faible et leur maturité technologique réduite. L’expérimentation à l’échelle du mégawatt montre qu’on est encore loin de pouvoir déployer des solutions industriellement viables à l’échelle du pays ». Si la transformation de l’électricité en gaz s’arrête à la production d’hydrogène, l’intérêt technico-économique de ce stockage d’énergie est effectivement faible, notamment du fait du caractère peu maniable de l’hydrogène qui s’enflamme au contact de l’air. Le power-to-gas présente cependant un intérêt certain si l’étape suivante est franchie : la transformation de l’hydrogène en méthane, grâce à la réaction de méthanation. Ce procédé, encore non développé en France faute d’utilité dans l’immédiat, a déjà fait ses preuves en Allemagne et au Danemark, où des installations de quelques mégawatts fonctionnent déjà depuis plusieurs années10, et présentent des rendements déjà prometteurs.

En valorisant les excédents de production d’électricité, cette technologie permet une augmentation de la capacité éolienne ou photovoltaïque pouvant être installée dans des conditions économiques satisfaisantes ; cela concourt à une plus grande sécurité du système électrique. D’ailleurs, les scénarios de l’Ademe11 et de négaWatt12 envisagent tous deux son développement significatif en France. Le méthane de synthèse produit peut être utilisé pour des usages de mobilité ou de chaleur (on voit ici tout l’intérêt d’une analyse qui ne se limite pas à la seule question électrique), voire même pour la production d’électricité dans des centrales à gaz, en cas de moindre production éolienne et photovoltaïque (absence de vent et de soleil).

L’Allemagne, éternel épouvantail

Les académiciens font fi de ces évolutions en matière de stockage d’énergie, et omettent complètement de traiter des éventuelles évolutions du pilotage de la demande d’électricité et des potentiels de réduction des volumes consommés. Ils concluent avec ce qui est pour eux une évidence : le développement des énergies renouvelables entraîne un recours significatif aux productions mobilisables et pilotables que sont les centrales thermiques et nucléaires. Pour étayer leur propos, ils pointent du doigt l’Allemagne, dont « la croissance de l’offre intermittente d’électricité produite par les renouvelables […] a nécessité l’ouverture de nouvelles capacités de production thermiques à charbon (13 GW) et un développement de l’exploitation du lignite ». Un minimum de rigueur scientifique aurait dû être observé par des membres de l’Académie des sciences. La simple lecture des statistiques officielles allemandes montre le contraire. Malgré la forte baisse du nucléaire (- 51 % entre 2000 et 2016), la consommation de lignite est relativement stable depuis le début des années 2000 ; quant au charbon, il est en nette diminution (-22 % entre 2000 et 2016)13.

La transition énergétique observée en Allemagne ne saurait pour autant être exonérée de toute critique. La réduction de la demande d’énergie, par exemple, n’est pas aussi forte qu’attendue. Et, malgré le développement important des énergies renouvelables ces dernières années, notre voisin continue d’afficher un contenu en CO2 du kWh électrique assez élevé. Mais ce constat n’est pas à imputer au développement des renouvelables, qui ont plutôt permis d’améliorer la situation. L’explication est tout autre : au début des années 2000, l’Allemagne a fait le choix de fermer en priorité son parc nucléaire, jugeant trop risquée l’utilisation de cette source d’énergie. C’est le développement des énergies renouvelables qui permet actuellement cela, et non un quelconque recours aux énergies fossiles. L’utilisation de ces dernières est dû à des choix politiques opérés il y a déjà plusieurs décennies. Au cours des années 60-70, alors que la France misait sur le « tout nucléaire » faute de ressources fossiles, l’Allemagne a fait le choix d’un approvisionnement bâti notamment sur l’utilisation de charbon et de lignite, largement disponibles sur son territoire. C’était à une époque où personne ne parlait de dérèglement climatique.

Un réel parti-pris des académiciens en faveur de l’énergie nucléaire

Après avoir fait état de toutes les difficultés insolubles rendant impossible un développement conséquent des énergies renouvelables, les auteurs de l’article affirment sans aucune justification sérieuse que « l’énergie nucléaire est objectivement le moyen le plus efficace pour réduire la part des énergies fossiles dans la production d’énergie électrique ». Ils indiquent néanmoins que « l’industrie nucléaire est aujourd’hui confrontée à des exigences justifiées de sûreté qui se traduisent par des questions techniques à résoudre ». Mais alors qu’aucune amélioration ne leur semble possible du côté des énergies renouvelables ou du stockage d’énergie, ils restent confiants sur ce sujet  : « nos ingénieurs et nos entreprises ont les compétences pour traiter ces problèmes [liés au nucléaire] et apporter les solutions requises ».

Les académiciens poursuivent leur propos par une nouvelle contre-vérité : « de nombreuses études montrent que la part totale des énergies renouvelables dans le mix électrique ne pourra pas aller très au-delà de 30-40 % sans conduire à un coût exorbitant de l’électricité et des émissions croissantes de gaz à effet de serre et à la mise en question de la sécurité de la fourniture générale de l’électricité ». Justifier cette affirmation en citant des sources aurait été bienvenu, notamment de la part de scientifiques qu’on imagine habitués à ce genre de pratiques. De nombreuses études montrent pourtant que la proportion des énergies renouvelables électriques peut amplement dépasser 30 à 40 % sans conduire à la ruine et au chaos annoncé. Plusieurs émanent d’institutions internationalement reconnues, comme l’Ademe11 ou le Fraunhofer IWES14. De nombreuses autres études existent à travers le monde15, et il est fort dommage qu’elles n’aient pas éveillé l’attention de nos académiciens.

La possible évolution à la baisse de la consommation d’énergie, la réduction à la baisse de la pointe de puissance électrique appelée, le pilotage de la demande, etc. sont autant de transformations oubliées dans l’analyse proposée par des membres de l’Académie des sciences. En traitant de manière aussi partielle et partiale cet enjeu majeur qu’est la transition énergétique, ils font preuve d’une réelle méconnaissance du sujet.
Depuis plusieurs décennies, le débat public autour des questions de politique énergétique s’est trop souvent transformé en un débat « pour ou contre le nucléaire ». Si la question du remplacement de cette source d’électricité par d’autres moins polluantes doit être examinée de près, le débat ne doit pas se résumer à cela. Pour ne pas tomber dans la caricature, un minimum de rigueur scientifique est attendu, notamment de la part de membres éminents de l’Académie des sciences. L’utilisation d’arguments fallacieux est à proscrire pour qu’enfin un débat serein puisse avoir lieu.
  1. La question de la transition énergétique est-elle bien posée dans les débats actuels, Académie des sciences, 2017, disponible sur : http://www.academie-sciences.fr/fr/Libres-points-de-vue-d-academiciens/libres-points-de-vue-d-academiciens-sur-l-energie.html
  2. « Aujourd’hui, le nucléaire est le moyen le plus efficace pour réduire la part des énergies fossiles », Le Monde, 2017, disponible sur : http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/05/19/aujourd-hui-le-nucleaire-est-le-moyen-le-plus-efficace-pour-reduire-la-part-des-energies-fossiles_5130427_3232.html. Pour la suite de cet article, nous traiterons principalement de la publication citée en note n°1, l’article du Monde n’étant qu’un résumé de la tribune de l’Académie des sciences.
  3. Lire à sujet l’article : http://decrypterlenergie.org/la-sortie-du-nucleaire-en-allemagne-entraine-t-elle-une-hausse-des-emissions-de-co2
  4. Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, article 183, JO du 18 août 2015, disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031044385&categorieLien=id#JORFARTI000031045679
  5. Lire à ce sujet l’article : http://decrypterlenergie.org/les-energies-renouvelables-sont-elles-intermittentes-2
  6. Développement de l’éolien : une énergie en débat, 2015, disponible sur : http://www.vie-publique.fr/actualite/dossier/rub1825/developpement-eolien-energie-debat.html
  7. Vers un mix électrique 100 % renouvelable, Ademe, 2016, page 13, disponible sur : http://www.ademe.fr/mix-electrique-100-renouvelable-analyses-optimisations
  8. Bilan prévisionnel, RTE, édition 2014, page 169. Disponible sur : https://rte-france.com/sites/default/files/bilan_complet_2014.pdf
  9. Programmation pluriannuelle de l’énergie, volet relatif à l’offre d’énergie, décembre 2016 – http://www.developpement-durable.gouv.fr/programmation-pluriannuelle-energie
  10. Méthanation : le premier grand pas d’Audi, Energie Plus, 2017, disponible sur : http://atee.fr/energie-plus-magazine/actualites/mer-29112017-1735-methanation-le-premier-grand-pas-daudi
  11. Vers un mix électrique 100 % renouvelable, Ademe, 2016, disponible sur : http://www.ademe.fr/mix-electrique-100-renouvelable-analyses-optimisations
  12. Scénario négaWatt 2017-2050, Association négaWatt, 2017, disponible sur : https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2017-2050
  13. AG Energie Bilanzen, disponible sur : http://www.ag-energiebilanzen.de/index.php?article_id=29&fileName=20170207_brd_stromerzeugung1990-2016.pdf. Pour davantage d’informations sur l’évolution du mix énergétique allemand, lire l’article : http://decrypterlenergie.org/la-sortie-du-nucleaire-en-allemagne-entraine-t-elle-une-hausse-des-emissions-de-co2
  14.  Kombikraftwerk 2, Fraunhofer IWES, disponible sur : http://www.kombikraftwerk.de/kombikraftwerk-2/projektinformationen-kombikraftwerk2.html
  15. Voir par exemple l’étude de l’Université de Stanford : 100 % Clean and Renewable Wind, Water, and Sunlight All-Sector Energy Roadmaps for 139 Countries of the World, Jacobson et al., Septembre 2017, disponible sur : https://www.cell.com/joule/fulltext/S2542-4351(17)30012-0