Fermer 17 réacteurs nucléaires : une absurdité ?

L’annonce faite le 10 juillet dernier par le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, n’est pas passée inaperçue : jusqu’à 17 réacteurs nucléaires pourraient être fermés d’ici 2025. Un certain nombre d’observateurs ont affirmé le caractère absurde de cette orientation, qui serait à la fois irréaliste et contradictoire avec d’autres objectifs comme la neutralité carbone ou la fin des véhicules essence et diesel en 2040. Qu’en est-il réellement ?

L’annonce faite le 10 juillet dernier par le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, n’est pas passée inaperçue : jusqu’à 17 réacteurs nucléaires pourraient être fermés d’ici 2025. Un certain nombre d’observateurs ont affirmé le caractère absurde de cette orientation, qui serait à la fois irréaliste et contradictoire avec d’autres objectifs comme la neutralité carbone ou la fin des véhicules essence et diesel en 2040. Qu’en est-il réellement ?

Contrairement aux idées répandues ces derniers jours dans certains médias1, la fermeture d’ici 2025 de 17 réacteurs nucléaires ne remettrait pas en cause les autres objectifs que la France s’est fixés en matière d’énergie.
Ces 17 réacteurs pourraient être remplacés par de l’éolien et du solaire, avec des rythmes d’installation annuels raisonnables, bien en deçà de ceux constatés ces dernières années en Allemagne. La baisse attendue – notamment par RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité – de la consommation d’électricité, et celle possible des exportations, devraient faciliter encore davantage ces fermetures de réacteurs, sans avoir besoin de recourir à davantage d’énergies fossiles. Cette diminution de la part du nucléaire n’est donc nullement en contradiction avec l’Accord de Paris ou encore l’objectif de neutralité carbone affiché ces dernières semaines par le gouvernement.
De la même manière, l’objectif d’une fin programmée de la vente des véhicules essence ou diesel d’ici 2040 ne remet pas en cause la baisse de la part du nucléaire. L’alimentation d’un parc de 20 millions de véhicules électriques d’ici 2040 peut amplement être satisfaite par les énergies renouvelables et/ou une réduction de la consommation d’électricité attendue sur de nombreux usages.
Enfin, cette fermeture de réacteurs pourrait s’avérer bénéfique pour l’économie et l’emploi. Les énergies renouvelables, de plus en plus compétitives, s’approchent du coût de production du nucléaire existant. Leur développement par ailleurs pourrait créer bien plus d’emplois que ceux perdus dans la filière nucléaire. Si de nécessaires transitions professionnelles sont bien entendu à anticiper, nul chaos économique ou social n’est à prévoir.
La fermeture de 17 réacteurs nucléaires d’ici 2025 n’est donc ni un non-sens énergétique, ni un non-sens économique. Elle s’inscrit dans l’objectif fixé par la loi de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité. La prolongation de l’ensemble des réacteurs nucléaires, si tant est  qu’elle puisse techniquement et économiquement se réaliser, serait au contraire en contradiction totale avec la loi.

L’annonce du ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, de fermer d’ici à 2025 jusqu’à 17 des 58 réacteurs actuellement en fonctionnement, s’inscrit dans l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % de la production en 2025. Le respect ou non de cet engagement de la loi de transition énergétique pour la croissance verte repose plus largement sur la combinaison de différents facteurs :

  • l’évolution de la consommation d’électricité,
  • l’évolution des exportations et importations d’électricité,
  • le développement des énergies renouvelables,
  • le recours à la production d’électricité par les énergies fossiles,
  • les fermetures de réacteurs ou la prolongation de leur durée de fonctionnement,
  • le démarrage ou l’abandon de l’EPR.

Parmi ces différents leviers, la fermeture de réacteurs retient toute l’attention. Elle constitue d’ailleurs, du point de vue énergétique, l’une des variables d’ajustement la plus immédiate et la plus significative qui puisse être mise en œuvre. Elle offre l’atout de pouvoir être programmée à la carte. Mais elle se heurte aussi à de fortes résistances, et pose en particulier des questions d’accompagnement des salariés et des territoires concernés. De plus, elle est volontiers présentée comme une décision arbitraire par nature, par opposition à la poursuite naturelle, facile et rentable de l’exploitation des réacteurs. Il faut rappeler sur ce plan que l’alternative à la fermeture n’est pas cela, mais la prolongation de la durée de fonctionnement au-delà de 40 ans : celle-ci constitue une étape réglementaire inédite et difficile, qui passera par des actions de renforcement coûteuses et industriellement à risque (de dérive des chantiers et de perte de rentabilité)2.

Pour certains observateurs1, le constat est évident : la fermeture de réacteurs nucléaires entraînerait nécessairement un recours accru aux énergies fossiles, les énergies renouvelables ne pouvant à elles seules remplacer ces réacteurs. Le respect de l’Accord de Paris et la neutralité carbone deviendraient alors inaccessibles, et la fin parallèlement programmée de la vente de véhicules essence et diesel3 ne ferait que renforcer le besoin de centrales thermiques alimentées par des énergies fossiles. Pour ces observateurs, enfin, la fermeture des réacteurs nucléaires entraînerait inévitablement une forte hausse de la facture d’électricité des ménages, et provoquerait la perte de centaines de milliers d’emplois.

Qu’en est-il vraiment ? Analysons les différents points.

L’éolien et le photovoltaïque pourraient-ils remplacer à eux seuls 17 réacteurs nucléaires d’ici 2025 ?

17 réacteurs nucléaires produisent environ 100 TWh par an4. Dans l’hypothèse où cette production devrait être intégralement compensée par une hausse de l’éolien et du photovoltaïque5, une des solutions serait d’installer d’ici à 2025 environ 25 GW de solaire photovoltaïque, 30 GW d’éolien terrestre et 2,5 GW d’éolien maritime. Est-ce réalisable ?

Assurément ! Les 2,5 GW d’éolien maritime sont d’ores et déjà prévus dans les appels d’offre déjà attribués. Pour l’éolien terrestre et le photovoltaïque, ces niveaux supposent des rythmes d’installation de respectivement 3,8 GW et 3,1 GW / an, des niveaux bien inférieurs à ce que l’on a pu constater en Allemagne6. S’ils peuvent de prime abord paraître ambitieux, ces rythmes d’installation sont tout à fait atteignables, si l’État lève certains freins administratifs actuels au développement des énergies renouvelables.

À l’horizon 2025, l’éolien et le photovoltaïque pourraient alors représenter 25 % de la production d’électricité française7, un niveau presque atteint en Allemagne, en Espagne ou au Portugal et largement dépassé au Danemark, qui ne remet nullement en cause la stabilité du système électrique8.

La baisse des consommations et des exportations faciliterait encore davantage la réduction du parc nucléaire

Les hypothèses d’installation d’énergies renouvelables évoquées ci-dessus supposent une stagnation de la consommation d’électricité française. Or, sans même évoquer les possibilités de réduction des consommations défendues par des scénarios comme ceux de l’ADEME9 ou de l’Association négaWatt10, les prévisions de RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité, sont très claires : quel que soit le scénario envisagé, la tendance est à la baisse des consommations électriques. Cela ne pourra que faciliter la fermeture de réacteurs nucléaires.

Autre levier envisageable : la réduction des exportations. La France présente depuis plusieurs années un solde exportateur largement positif (entre 40 et 60 TWh en moyenne depuis 10 ans). Un bilan équilibré entre importations et exportations permettrait de réduire significativement le nombre de réacteurs nucléaires en fonctionnement11.

Ainsi, contrairement à ce qu’affirment certains observateurs, la fermeture de 17 réacteurs n’entraînerait pas nécessairement de recours à davantage d’énergies fossiles. Cette baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique français n’est donc incompatible ni avec l’Accord de Paris ni avec l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 affiché par le gouvernement actuel.

Un objectif contradictoire avec la fin annoncée des véhicules essence/diesel ?

Le ministre de la Transition écologique et solidaire a fixé le 6 juillet dernier, dans le cadre de la présentation du Plan Climat pour la France12, un objectif de fin de vente des véhicules essence et diesel en 2040. Un recours accru aux véhicules électriques est donc envisagé. Comment produire l’électricité nécessaire si des réacteurs nucléaires sont fermés ?
Il convient d’abord de préciser que le véhicule électrique n’est pas la seule alternative à l’essence ou au diesel. Un parc de véhicules au bioGNV pourrait également être développé.
L’hypothèse d’un basculement massif vers l’électricité peut néanmoins être étudiée. Supposons un parc de 20 millions de véhicules électriques en fonctionnement en 204013, année d’interdiction des véhicules essence et diesel. Leur consommation annuelle serait d’environ 50 TWh14. Il s’agirait donc d’installer, entre 2025 et 2040, suffisamment d’énergies renouvelables et/ou de réduire suffisamment les consommations et les exportations d’électricité pour permettre, en une quinzaine d’années, d’assurer la fourniture de ces 50 TWh supplémentaires. Nous venons de montrer plus haut comment fournir deux fois plus d’énergie (100 TWh) sur une période de transition deux fois plus courte. L’approvisionnement d’un parc conséquent de véhicules électriques en électricité non carbonée n’est donc nullement rendu impossible par l’annonce de la fermeture possible de 17 réacteurs nucléaires.

La fermeture de 17 réacteurs nucléaires serait-elle une ruine pour les ménages, les entreprises et notre économie ?

Certains observateurs pointent du doigt la nette hausse du prix du kWh électrique facturé aux ménages allemands au cours des dernières années, suggérant que la même chose pourrait se produire en France. C’est oublier que le coût des énergies renouvelables est en forte baisse depuis plusieurs années, contrairement à celui du nucléaire. Installer du photovoltaïque et de l’éolien en 2020-2025 ne coûtera pas nécessairement plus cher que de s’approvisionner à partir d’énergie nucléaire. Dès aujourd’hui, certains parcs photovoltaïques au sol présentent des coûts de production qui se rapprochent fortement du coût du nucléaire existant15. Il en est de même pour certains parcs éoliens déjà envisagés, même en milieu maritime, qui ne nécessiteront pas de soutiens publics et vont proposer de l’électricité au prix du marché16.

Enfin, concernant l’emploi, la fermeture de plusieurs réacteurs entraînera inévitablement des pertes dans le secteur nucléaire. Les emplois directs et indirects de ce secteur étant évalués, selon les études, à 100 000 à 250 00017, on peut estimer que la fermeture de 17 réacteurs pourrait entraîner la perte d’environ 30 000 à 75 000 emplois (un chiffre qui ne tient pas compte des créations d’emplois entraînées par le nécessaire démantèlement de ces installations). En parallèle, ce sont plus de 170 000 emplois qui pourraient être créés dans les seules filières éolien et photovoltaïque18. Le bilan comptable pourrait donc s’avérer amplement positif, à condition que cette transition professionnelle soit suffisamment préparée et anticipée par les pouvoirs publics.

Les tendances lourdes de baisse des consommations d’électricité et de développement des énergies renouvelables, venant en complément d’une réduction de nos exportations d’électricité, permettent d’atteindre raisonnablement l’objectif de fermeture de 17 réacteurs nucléaires d’ici 2025.
Ainsi, loin des caricatures véhiculées par certains observateurs, ces fermetures, si elles s’inscrivent dans une politique énergétique globale et cohérente, n’entraîneront ni renoncement sur les objectifs climatiques, ni chaos économique.
L’annonce du ministre de la Transition écologique et solidaire s’inscrit logiquement dans l‘objectif législatif de réduire à 50 % la part du nucléaire en 2025. À contrario, la prolongation au-delà de 40 ans de l’ensemble du parc nucléaire existant, que certains appellent de leurs vœux, s’inscrit en faux par rapport à la loi.
  1. Citons par exemple Les Echos https://www.lesechos.fr/idees-debats/crible/030439567243-les-imprevoyances-de-m-hulot-2101269.php?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter#xtor=RSS-41, le Figaro http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/2017/07/10/29001-20170710ARTFIG00263-fermeture-de-17-reacteurs-nucleaires-quelles-consequences.php?xtor=EPR-211 ou l’Humanité http://www.humanite.fr/production-electrique-lequation-insoluble-de-nicolas-hulot-638707
  2. Nous ne discuterons ici ni des conditions dans lesquelles cet arbitrage entre sûreté et rentabilité peut intervenir dans la fermeture de réacteurs, ni du dimensionnement du nombre de fermetures de réacteurs à prévoir dans une stratégie cohérente d’atteinte de l’objectif de 50 % à 2025. La projection de la fermeture de jusqu’à 17 réacteurs suscite avant cela des critiques sur son caractère irréaliste, et sur son inconsistance avec d’autres objectifs affichés, qu’il convient de remettre en perspective.
  3. Cet objectif à l’horizon 2040 fait partie du Plan Climat dévoilé le 6 juillet dernier par le ministre de la Transition écologique et solidaire – http://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/lancement-du-plan-climat
  4. Avec un facteur de charge de 75 %, et une puissance de 900 MW par réacteur, correspondant à la puissance moyenne des réacteurs les plus anciens susceptibles d’être fermés en priorité.
  5. Cette hypothèse est conservatrice, pour deux raisons : d’autres sources d’énergie renouvelable peuvent également être mises à contribution ; et le besoin serait en réalité moindre. En effet, le parc nucléaire actuel fonctionne en surcapacité, avec un facteur de charge moyen de 75 %, très en deçà de la réalisation de parcs nucléaires performants à l’étranger, qui atteignent traditionnellement un facteur de charge de 85 % ou davantage. À titre indicatif, le passage des 41 réacteurs restants de 75 % à 85 % de facteur de charge leur permettrait de produire pratiquement 40 TWh de plus. De plus, on ne tient pas compte ici de l’éventuel démarrage du réacteur EPR de Flamanville, susceptible si celui franchit les étapes réglementaires restantes d’intervenir avant 2025, et qui produirait alors lui-même plus de 10 TWh supplémentaires. Le besoin de compensation par les renouvelables pourrait ainsi n’être en réalité que de 50 TWh environ.
  6. 30 GW d’éolien terrestre supposent par exemple une augmentation continue du rythme annuel d’installation, entre la valeur actuelle (1,6 GW en 2016, supposée constante en 2017) et une valeur cible de 5 GW en 2025 (en Allemagne environ 5 GW / an ont été installées ces trois dernières années). Pour le photovoltaïque, la logique peut être la même la même : 25 GW correspondent à une augmentation continue du rythme annuel d’installation entre la valeur actuelle (0,6 GW en 2016, valeur la plus basse depuis 2010) et une valeur cible de 5 GW en 2025 (à titre de comparaison l’Allemagne a installé près de 8 GW / an en 2011, 2012 et 2013).
  7. En supposant une stabilité de la production.
  8. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte envisage d’ailleurs implicitement un tel niveau de pénétration des énergies renouvelables dites variables à l’horizon 2030, et RTE se montre tout à fait confiant dans l’atteinte de cet objectif du point de vue de la tenue du réseau d’électricité et de l’équilibre offre-demande. Pour assurer encore davantage la tenue de l’équilibre offre-demande, il est également possible de renforcer l’installation d’énergies renouvelables.
  9. http://www.ademe.fr/contribution-lademe-a-lelaboration-visions-energetiques-2030-2050
  10. https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2017
  11. Arriver à un bilan équilibré entre importations et exportations ne signifie bien entendu pas la fin des échanges d’électricité avec nos voisins européens, qui resteront nécessaires (notamment pour équilibrer le réseau). L’hypothèse évoquée ici est celle d’une réduction du solde exportateur net. Les conséquences économiques d’une telle réduction pour l’opérateur national pourraient être modérées, les exportations se faisant plutôt à des moments d’abondance sur le réseau électrique européen, périodes où le prix de marché est bas et souvent inférieur au coût de production nucléaire
  12. http://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/lancement-du-plan-climat
  13. Soit plus de la moitié du parc de voitures et de véhicules utilitaires légers déjà converti à l’électricité au moment de l’interdiction des véhicules essence et diesel
  14. En supposant une consommation unitaire de 18 kWh pour 100 km et un kilométrage annuel de 14 000 km.
  15. En France, les récents appels d’offre pour des parcs au sol de 5 GW et plus ont abouti à des tarifs moyens de 62 € / MWh
  16. https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/0211974112436-eolien-en-mer-des-parcs-sans-subventions-une-premiere-mondiale-2080012.php
  17. Les données divergent sur ce sujet. Cette valeur de 250 000 provient d’une étude réalisée pour Areva par PWC (PricewaterhouseCoopers). Une extrapolation nationale obtenue par ratio à partir de données fournies au niveau de la Région Centre par la direction régionale d’EDF aboutit à un résultat très inférieur, de 100 000 emplois directs et indirects. Ce chiffre correspond aux emplois associés à la production nucléaire, amont (combustible), services (maintenance) et aval (déchets) compris, ce qui n’est pas autant que l’ensemble des emplois de la filière nucléaire (recherche, démantèlement des anciens réacteurs, activités pour l’exportation, construction et développement de nouveaux réacteurs, … autant d’activités prises en compte dans l’étude PWC).
  18. Résultat obtenu en supposant que la fermeture des 17 réacteurs nucléaires est intégralement compensée par l’éolien et le photovoltaïque (d’après l’étude de l’impact sur l’emploi du scénario négaWatt – Philippe Quirion, CNRS-CIRED). Cette valeur est celle des emplois équivalent temps plein créés ; en réalité cela représenterait plutôt 190 000 emplois créés.
Crédit photo : Centrale nucléaire de Fessenheim, Haut-Rhin, Alsace, FranceFlorival_frCC BY-SA 3.0