Bien que la maison individuelle reste le rêve de nombreux français, son développement ne peut continuer au rythme actuel. Cette perspective n’est tout simplement pas soutenable à long terme. En effet, outre les consommations d’énergie, de matériaux et d’espace induites plus importantes que dans le logement collectif, elle pèse sur le budget des ménages avec la « double peine » de factures de chauffage et de transport plus élevées. Elle est également plus coûteuse pour la collectivité, notamment en raison de besoins plus élevés en infrastructure.
L’aspiration à la maison individuelle devrait, et peut, être orientée vers des habitats collectifs de qualité, à taille humaine, qui offrent plusieurs avantages : maîtrise des surfaces foncières et bâties, mutualisation d’équipements, insertion dans la cité à travers la présence de services publics et de transports collectifs… et convivialité !
La maison individuelle : une aspiration pour la majorité des Français
La maison individuelle1 – en lotissement ou isolée – présente plusieurs atouts indéniables, qui ont justifié son essor important au cours des dernières décennies. Elle répond en effet aux aspirations à habiter en zone calme et tranquille plutôt qu’en milieu urbain bruyant, à disposer d’un jardin privatif et à éviter les contraintes de copropriété.
Ainsi le nombre de maisons individuelles croît plus vite que celui des logements collectifs. C’est notamment le cas depuis le début des années 2000 :
Figure 1 : Parc de résidences principales, secondaires ou logements vacants en habitat collectif ou individuel en 2014 – Source : InseeUne tendance qui se heurte à plusieurs limites
La maison individuelle se distingue du logement collectif par de multiples aspects, qui vont tous dans le sens d’une consommation d’énergie supérieure. La surface moyenne y est plus grande (en 2010 : 110 m² contre 66 dans l’ensemble du parc existant, 131 m² contre 73 dans les constructions neuves)2. Le taux d’occupation y est plus faible : chaque habitant dispose de 45 m² dans une maison individuelle, contre 35 m² en logement collectif (recensement de 2012)3.
La surface moyenne des logements en France se situe dans la moyenne européenneLe graphique ci-dessous illustre les surfaces habitables par habitant en fonction du nombre d’occupants par logement. Mis à part le Luxembourg, où les logements sont nettement plus grands, on observe sans surprise que plus le nombre d’occupants augmente, plus la surface habitable disponible par occupant diminue. La France occupe une position médiane, entre les pays du Nord (Danemark, Suède, Pays-Bas, Allemagne) et les pays méditerranéens (Espagne, Portugal, Italie, Grèce). Mises à part les différences de niveaux de vie, cette altérité s’explique probablement aussi par des variations dans les modes de vie. Figure 2 : Surface habitable par habitant en Europe et occupation des logements – Source : Économie et statistique n° 3434Nota : les chiffres présentés sur ce graphique sont issus des statistiques allant de 1997 à 1999 selon les pays, sauf pour le point 2010 relatif à la France |
Les maisons nécessitent pour leur construction plus de matériaux et d’énergie que l’habitat collectif : la mitoyenneté verticale et/ou horizontale diminue le nombre de parois extérieures par logement et permet de mutualiser certains équipements, comme le systèmes de chauffage. Quant à l’implantation de l’habitat individuel, de plus en plus éloignée des centres urbains, elle augmente notablement les distances à parcourir. Du fait de la grande difficulté à développer des transports en commun dans des zones peu denses, ces trajets se font très majoritairement en voiture individuelle.
L’ensemble de ces facteurs entraîne une augmentation des consommations d’énergie, en contradiction avec les objectifs nationaux de réduction fixés par le Parlement5. Une inflexion de la tendance est donc nécessaire. Elle est l’est d’autant plus que les projections d’évolution de la population à l’horizon 2100 restent orientées à la hausse, tant au niveau mondial que français.
Mais l’impact des maisons individuelles sur l’environnement ne se limite pas aux seules questions énergétiques. L’accaparement des terres agricoles sur lesquelles elles sont implantées n’est pas soutenable non plus6.
Chaque famille aspirant à avoir son « coin de verdure » autour de sa maison, la consommation d’espace autour des maisons est beaucoup plus importante que dans le cas des logements collectifs : « Sur les 491 000 hectares de terres artificialisées entre 2006 et 2014 (presque 1/100 de la surface de la France), 46 % ont été consommées par des maisons individuelles, avec leurs jardins et annexes, … contre seulement 3 % pour l’habitat collectif »7.
Au rythme actuel, toutes constructions et équipements confondus, c’est l’équivalent de la surface d’un département qui est artificialisé tous les sept ans6 !
Par ailleurs, le développement de la maison individuelle entraîne un double coût social.
Sur le plan individuel, il favorise un risque accru de précarité économique : certains ménages s’endettent au maximum de leur capacité de remboursement pour bénéficier de la plus grande surface habitable possible. Cela entraîne souvent une précarité énergétique : l’argent investi dans les murs réduit les moyens disponibles pour financer un bâti performant thermiquement et des systèmes de chauffage/ventilation efficaces. L’éloignement des centres urbains, afin de bénéficier d’un foncier moins coûteux, se répercute sur les temps de transport et les dépenses induites : nécessité d’avoir une voiture, voire deux ; vulnérabilité aux augmentations du coût des carburants, etc. Enfin, un éclatement des lieux de résidence de travail, de consommation et de services peut nuire à l’insertion dans une vie sociale de proximité.
Sur le plan collectif, le coût caché de l’extension des réseaux de toutes sortes est loin d’être négligeable. L’équilibre économique est d’autant plus difficile à atteindre que la densité de population desservie diminue, ainsi que la congestion liée à l’étalement en étoile autour des centres urbains, génératrice d’embouteillages, de nuisances sonores et de pollution.
Vers un habitat collectif de qualité
Si, en matière de développement de l’habitat individuel, un renversement des tendances observées peut paraître nécessaire, il ne s’agit cependant pas de concentrer les populations dans des grands ensembles ou des tours. Ces derniers ont également montré leur limites, notamment en termes de qualité de vie, donc d’acceptabilité sociale. De nouvelles formes d’habitats intermédiaires doivent être recherchées, en prenant en compte de manière holistique les critères suivants :
- La typologie de la construction
Entre maison individuelle et grandes tours, il existe de multiples typologies d’habitat, qui se distinguent par leur taille, leur hauteur et leur densité d’implantation. Le dessin suivant illustre cette diversité et montre l’éventail des densités en fonction de la typologie de bâtiment. Une densité moyenne peut être obtenue avec des immeubles ne comportant que quelques étages, avec un nombre de logements allant de quelques unités à quelques dizaines, implantés de manière à garder de l’espace pour des espaces verts. Notons au passage que la maison de ville est consommatrice de relativement peu d’espace.
Figure 3 : Typologie des habitats – Source : Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France
Densité bâtie = surface construite / surface du terrain
- Les surfaces habitables des logements
La réduction souhaitable de la surface des logements ne rime pas nécessairement avec la diminution de la qualité de vie. Dans beaucoup de logements, certaines pièces restent vides ou peu occupés une grande partie du temps, et pourraient être mutualisés avec profit : chambres d’amis, buanderie, espaces pour le bricolage ou la pratique de loisirs (musique, sport), locaux communs pour réunions ou fêtes, etc.
- L’occupation des logements (nombre d’habitants par logement)
Se diriger vers une proportion plus élevée de logements collectifs permet également d’aller vers une meilleur taux d’occupation. Depuis des années, le nombre moyen d’occupants par logement diminue régulièrement en conséquence de l’augmentation du nombre de couples séparés et du maintien à domicile des personnes âgées (ce qui est positif dans la perspective de la recherche d’un « mieux vieillir »). Cette tendance pousse à construire toujours plus de logements avec comme corollaire l’augmentation de la consommation d’énergie. Une réflexion collective est à mener sur la modification de cette tendance, en recherchant des moyens d’occuper davantage les logements, par exemple grâce au développement de la colocation d’étudiants (en milieu urbain) ou à l’encouragement de la cohabitation entre seniors et étudiants ou personnes actives (également plus aisée en milieu urbain).
- La proximité d’un réseau de transports en commun et le développement de l’autopartage
La densification évoquée dans le premier point constitue évidemment un facteur favorable au développement ou à l’extension de réseaux de transports en commun, qui ne peuvent être « rentabilisés » que si suffisamment d’usagers les empruntent. L’autopartage et le covoiturage sont également facilités par un habitat plus dense.
- La proximité avec les services (services publics, commerces, …) et les lieux de travail
De la même manière, une densification raisonnable favorise le développement ou l’implantation de services publics et de commerces de proximité, qui s’avèrent nettement plus difficiles à maintenir en zone d’habitat trop diffus.
Enfin, le développement de logements collectifs doit être mené en intégrant dans la réflexion d’autres critères : faibles pollutions de l’air et sonore, qualité acoustique et thermique du logement. Par ailleurs, il faut concevoir des solutions novatrices dans le domaine des montages financiers et juridiques, par exemple la création de coopératives d’habitants pour limiter la spéculation immobilière, ou l’achat collectif de logements. L’innovation doit aussi venir de la conception architecturale : des systèmes constructifs modulaires permettent une évolution de la surface en fonction de la taille des familles occupantes8.
Conclusion |
Consommation d’énergie en hausse, matières premières surexploitées, sols artificialisés… la maison individuelle ne constitue plus un modèle soutenable. Il importe donc que les architectes, urbanistes, sociologues, énergéticiens, etc… réfléchissent à la ville de demain, qui conciliera densité et conditions de vie agréables. En France, le développement d’habitats collectifs de taille intermédiaire, associés à des équipements mutualisés favorisant le lien social de proximité, contribuerait à freiner l’exode rural et à redynamiser les villages et les bourgs. Il participerait ainsi à l’aménagement équilibré dont nos territoires ont besoin.
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- Afin d’éviter une formulation trop lourde, on ne précisera pas à chaque occurrence du terme « maison individuelle » s’il s’agit d’habitation en lotissement, de maison isolée ou de maison de ville ; sauf mention contraire, ce terme englobera les maisons isolées ou en lotissement, et non les maisons de ville.
- Scénario négaWatt 2011-2050 : Hypothèses et méthode, Association négaWatt – CDC, 2014, disponible sur : www.negawatt.org/telechargement/SnW11/Rapport_technique//150505_Scenario-negaWatt_Hypotheses-et-methode.zip
- Résidences principales par type de logement, nombre de pièces et taille du ménage, Insee, 2011, disponible sur : www.insee.fr/fr/themes/tableau_local_tsv.asp?ref_id=PRINC3&nivgeo=METRODOM&codgeo=1&millesime=2011
- Le logement dans l’Union européenne : la propriété prend le pas sur la location, Claudie Louvot-Runavot, Économie et statistique n° 343, 2001, disponible sur : www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/es343b.pdf
- Pour mémoire la loi de transition énergétique votée en juillet 2015 fixe un objectif de division par deux de la consommation d’énergie finale à l’horizon 2050.
- 90 % des sols artificialisés entre 2000 et 2006 proviennent de zones agricoles. L’artificialisation des sols s’opère aux dépens des terres agricoles, Commissariat général au développement durable, Le point sur n°75, 2011 disponible sur : www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/LPS75.pdf
- L’artificialisation des terres de 2006 à 2014 : pour deux tiers sur des espaces agricoles, Agreste Primeur n° 326, 2015, disponible sur : agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/primeur326.pdf
- À Bordeaux, l’office public de l’habitat développe ce type de construction. Habitat social : une expérimentation innovante en Aquitaine, disponible sur : www.le-bois.com/article-2-habitat-social-une-experimentation-innovante-en-aquitaine-2010-09-10-00000907