La réduction de la vitesse sur route est-elle une mesure inefficace ?

Malgré les avantages de la réduction de la vitesse en termes de sécurité, de coût et d’environnement, ces limitations, même ponctuelles, sont souvent vécues comme une contrainte insupportable par beaucoup d’automobilistes. Elles sont d’ailleurs peu respectées durant les pics de pollution. Quels sont les bénéfices objectifs d’une réduction de la vitesse maximale autorisée sur route et autoroute ? Quels impacts peut-on en attendre en France ?

Malgré les avantages de la réduction de la vitesse en termes de sécurité, de coût et d’environnement, ces limitations, même ponctuelles, sont souvent vécues comme une contrainte insupportable par beaucoup d’automobilistes. Elles sont d’ailleurs peu respectées durant les pics de pollution. Quels sont les bénéfices objectifs d’une réduction de la vitesse maximale autorisée sur route et autoroute ? Quels impacts peut-on en attendre en France ?

Au sein de l’Union européenne, les vitesses maximales autorisées sont variables : de 80 à 100 km/h sur route, de 90 à 130 km/h sur autoroute. La perspective de gain de temps motive les conducteurs à rouler toujours plus vite. Pourtant, plus les vitesses sont élevées, plus les écarts de temps sont faibles : entre 110 et 130 km/h, le gain est beaucoup plus faible qu’entre 70 et 90 km/h. De plus, vitesse ponctuelle élevée ne rime pas nécessairement avec vitesse moyenne élevée. C’est parfois l’inverse qui est observé : une diminution de la vitesse maximale autorisée peut entraîner des gains sur les temps de parcours ! C’est le résultat observé sur différentes voies rapides urbaines, dans plusieurs villes françaises.

Une baisse de la vitesse maximale autorisée a d’autres effets positifs indéniables : réduction du stress au volant, des nuisances sonores, des impacts environnementaux (diminution des consommations et donc des émissions de gaz à effet de serre, amélioration de la qualité de l’air), etc.

Pourquoi souhaitons-nous rouler toujours plus vite ? A cette question, l’enquête menée par la Prévention routière/Gatard en 20041 fait ressortir le gain de temps comme motivation première. Spontanément, nous pensons que si la vitesse moyenne de circulation augmente, le temps nécessaire pour parcourir la même distance diminue : rouler à 120 km/h nous permettrait d’atteindre notre lieu de destination deux fois plus vite qu’en roulant à 60 km/h. Est-ce vraiment le cas ?

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Vitesse et temps de parcours

Une vitesse ponctuelle plus élevée n’est pas synonyme d’un temps de parcours plus court. En effet, la circulation des voitures est un système semblable à celui de la mécanique des fluides (et de la plomberie) : elle dépend de la vitesse du fluide (les voitures) et du diamètre du tuyau (la route). Les phénomènes de congestion ont lieu quand le trafic devient dense, indépendamment des obstacles qui peuvent se trouver sur la voie. Si la vitesse des voitures augmente, la distance de sécurité entre celles-ci doit, elle aussi, augmenter. Mais si la vitesse croît trop, la distance nécessaire entre deux voitures ne peut être atteinte, engendrant une circulation en accordéon, des insertions plus difficiles dans le trafic et un ralentissement du débit. On passe alors d’un écoulement laminaire, fluide, à un écoulement turbulent, houleux.

Une comparaison permet de comprendre ce phénomène : l’image d’un entonnoir dans lequel on verse du riz, popularisée par Doug MacDonald, commissaire au transport de Washington. Si le riz est versé doucement, il coule plus vite dans le goulot que si on le verse d’un coup. Dans ce cas, il peut même se bloquer !2

Par ailleurs, plus notre vitesse est élevée, plus le gain de temps apporté par une augmentation est faible.

Vitesses Passage de 80 km/h
à 90 km/h
100 km/h à 110 km/h 120 km/h à 130 km/h
Gain de temps théorique sur 100 km

8 min

6 min

4 min

Tableau  1 : Estimation du gain de temps théorique d’une augmentation de la vitesse de 10 km/h, sur un trajet de 100 km

Sur un trajet domicile-travail, très souvent inférieur à 30 km, une diminution de la vitesse maximale autorisée entraîne un très faible temps de parcours supplémentaire : 1 à 2 minutes si le trajet est effectué sur autoroute, moins de 3 minutes sur route départementale/nationale. Sur le trajet Marseille-Aubagne par exemple (21 km), une réduction de vitesse de 20 km/h augmenterait le temps de trajet de moins de 2 minutes3. On verra plus loin que c’est même l’effet inverse qui risque d’être obtenu : réduire la vitesse maximale autorisée peut raccourcir le temps de parcours.

Pour les trajets plus longs, l’impact d’une réduction de vitesse sera bien évidemment plus grand. Mais d’autres critères, détaillés plus bas, entrent en jeu : sécurité routière, impacts environnementaux, etc. Une vitesse la plus élevée possible ne saurait être le seul objectif des conducteurs. D’ailleurs, la pause toutes les 2 heures est largement entrée dans les mœurs, alors même qu’elle allonge, elle-aussi, le temps de trajet !

Quelle vitesse réelle ?

En ajoutant au temps d’utilisation de sa voiture le temps de travail nécessaire pour l’acheter et payer son entretien (essence, assurance…) Ivan Illich estimait, il y a 40 ans, qu’on se déplace plus vite en bicyclette qu’en automobile. Son calcul concluait, tout compris, à une vitesse moyenne de 6 km/h en voiture, contre 12 en vélo4. Si cette réflexion ne permet pas vraiment d’évaluer nos vitesses de déplacement, elle a le mérite de montrer l’étendue de la problématique. Considérer seulement la vitesse maximale autorisée sur un trajet donné est insuffisant.

La vitesse réelle sur les routes dépend d’abord de la crédibilité de la signalisation. Il s’agit non seulement de l’adéquation entre l’information locale délivrée et la situation rencontrée par l’usager de la route, mais aussi de la cohérence, de la pertinence et de la simplicité des indications à l’échelle du réseau routier. La vitesse relève aussi des facteurs de dissuasion et de l’adéquation entre la lecture que donne la route et la vitesse affichée : il est plus difficile de respecter une limitation sur une grande ligne droite, sans obstacle et sans bâtiment en bord de route que dans une zone résidentielle, avec des écoles et des ralentisseurs.

En 2012, la vitesse moyenne de l’ensemble des véhicules (voitures et deux-roues motorisés) circulant de jour a été de 78,4 km/h (elle était de 88,1 km/h en 2000)5. Depuis, la vitesse réelle et les dépassements de la vitesse maximale sur autoroute sont stables.

Année 2012 2013 2014 2015
Vitesse moyenne
sur les 3 voies
127 km/h 127 km/h 127 km/h 127 km/h
Dépassement >130 km/h 37 % 39 % 36 % 37 %
Dépassement
>150 km/h
3 % 3 % 3 % 3 %
Tableau 2 : Évolution des vitesses réelles et des dépassements, sur autoroute – Source : Sanef, 20156

De fait, le conducteur détermine sa vitesse de circulation optimale en tenant compte des gains – principalement de temps – escomptés et des coûts associés, ce qui explique l’évolution des vitesses7, comme le montre la figure ci-dessous.

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Figure 1 : Facteurs influant la vitesse d’un conducteur

Les bénéfices d’une réduction de vitesse

Entre 2000 et 2012, la baisse constatée de la vitesse moyenne de 10 km/h s’est accompagnée d’une diminution de la mortalité sur la route de 55 %. Mais des gains supplémentaires sont encore possibles. La baisse de la vitesse maximale de 90 à 80 km/h sur les départementales et les nationales permettrait d’éviter 450 morts chaque année. 200 vies seraient épargnées en réduisant simplement la vitesse dans les zones dangereuses8. De plus, la diminution de vitesse limite les accidents dus aux bouchons et à la congestion : sur route et autoroute, les heurts en queue de « bouchon » représentent un tiers des accidents, du fait de la réduction très rapide de la vitesse, voire du passage à l’arrêt.

Par ailleurs, la diminution de la vitesse entraîne également une amélioration de la qualité de l’air. Une réduction de 20 km/h sur route ou autoroute permet une baisse jusqu’à 20 % des émissions d’oxydes d’azote et de particules fines PM10, et jusqu’à 8 % des concentrations de polluants dans l’air ambiant1. En complément, les nuisances sonores sont, elles aussi, réduites.

Enfin, les gains d’une réduction de vitesse portent, bien entendu, sur la consommation de carburant et les émissions de gaz à effet de serre. Plus un véhicule roule vite, plus sa résistance à l’air (proportionnelle au carré de la vitesse) augmente : elle est presque quatre fois plus élevée à 110 km/h qu’à 60 km/h. La consommation d’une voiture passera par exemple de 8 l/100 km à 100 km/h à 10 l/100 km à 120 km/h et 12 l/100 km à 130 km/h.

Cette surconsommation à grande vitesse tient aussi au dimensionnement de nos véhicules. Ils sont optimisés pour consommer le moins possible à bas régime du plus grand rapport de vitesse. C’est donc souvent en cinquième (ou en sixième), en-dessous de 2000 tours/min, que les voitures consomment le moins.

Quelques expériences réussies

En Europe

Les limitations de vitesse ne sont pas identiques dans tous les pays européens. Sur autoroute, un grand nombre d’entre eux (Royaume-Uni, Irlande, Espagne, Portugal, Suède, Finlande, Suisse, etc.) affichent une vitesse maximale autorisée de 120 km/h, voire moins. Sur les routes départementales ou nationales, une limitation à 70 ou 80 km/h est la norme en Suède, Norvège, Irlande, Suisse, Pays-Bas, Danemark…


Figure 2 : Limitations de vitesse en Europe – Source : www.permisapoints.fr

On observe des limitations plus importantes qu’en France aussi bien dans de « petits » pays, où les distances parcourues sont relativement courtes (Suisse, Irlande), que dans les grands espaces des pays nordiques.

En France

Différentes expériences de limitation de la vitesse maximale sur route et autoroute ont été mises en œuvre avec succès dans l’Hexagone.

La réduction de 90 à 70 km/h de la vitesse maximale autorisée sur le périphérique parisien en janvier 2014 a ainsi eu des effets bénéfiques. La vitesse moyenne de circulation a augmenté de 18 % : 32,6 km/h en 2013 contre 38,4 km/h en 2014. Les voitures roulant plus lentement, donc plus régulièrement, l’effet d’accordéon a été réduit. La conduite est plus sereine, les automobilistes ont plus de temps pour prendre leurs décisions, ce qui facilite l’entrée des véhicules sur le boulevard périphérique. Le gain de temps sur les parcours des automobilistes est d’environ 15 % le matin et 5 % le soir9.

D’autres villes ont adopté une réduction de la vitesse sur les voies rapides urbaines : Bordeaux, Nantes, Saint-Etienne, Nancy, Grenoble10

Sur autoroute, des systèmes dynamiques ont été testés sur l’A13 ou l’A6. En période de trafic dense, ils réduisent la vitesse à 120, 110, voire 90 km/h sur certains tronçons fortement soumis aux congestions de circulation. On constate là-aussi les mêmes bénéfices. Sur l’A13, les bouchons ont été réduits de 50 %, et la vitesse moyenne lors des pics de trafic a augmenté11.

La réduction de la vitesse maximale autorisée sur route et autoroute n’entraîne pas nécessairement un allongement du temps de parcours, première crainte des automobilistes. Plusieurs initiatives ont même montré l’inverse : en cas de fort trafic, la diminution de la vitesse maximale entraîne une augmentation de la vitesse moyenne des véhicules.

Sur les axes moins chargés, la perte de temps engendrée par une réduction de la vitesse est faible, et doit être comparé à ses impacts bénéfiques : diminution du nombre d’accidents, de la consommation d’énergie et des nuisances sonores, amélioration de la qualité de l’air. En matière de circulation aussi, le « toujours plus vite » ne saurait être la règle d’or !

  1. Impacts des limitations de vitesse sur la qualité de l’air, le climat, l’énergie et le bruit, synthèse de l’étude, 2014, disponible sur : www.presse.ademe.fr/wp-content/uploads/2014/06/Rapport-final-étude-limitation-de-vitesse.pdf
  2.  Pourquoi on circule mieux quand les voitures roulent moins vite, Tom Vanderbilt, Slate, 2011, disponible sur : www.slate.fr/story/45397/voiture-vitesse-embouteillage-harmonisation
  3. Réduction des vitesses sur les autoroutes non concédées des Bouches du Rhône, Dossier de presse, Direction Interdépartementale des Routes Méditerranée, 2012, disponible sur : www.enroute.mediterranee.equipement.gouv.fr/IMG/pdf/DossierPresseReductionVitesses_v1-1-2.pdf
  4. Énergie et équité, Ivan Illich, éditions du Seuil, 1975
  5. www.securite-routiere.gouv.fr
  6. Résultats de l’Observatoire des comportements, Dossier de presse, Sanef, 2015, disponible sur : www.sanef.com/var/sanef/storage/media/securite/page-observatoire/DP/files/docs/all.pdf
  7. Les Cahiers Scientifiques du Transport, n° 46/2004, L.Carnis
  8. Recommandation du CNSR au ministre de l’Intérieur, Conseil national de la sécurité routière, 2014, disponible sur : www.conseil-national-securite-routiere.fr/wp-content/uploads/2015/02/2014-06-16-CNSR-MI-avis-VMA.pdf
  9. Pollution de l’air : l’abaissement des vitesses est-il efficace ?, Le Parisien, 2015, disponible sur : http://www.leparisien.fr/environnement/ville-durable/pollution-de-l-air-l-abaissement-des-vitesses-est-elle-efficace-22-05-2015-4793315.php
  10. À Grenoble, en plus d’une réduction de la vitesse sur la voie rapide, c’est en ville que la vitesse maximale autorisée sera abaissée. Elle passera de 50 à 30 km/h en janvier 2016. Qualité de l’air : la baisse des vitesses en ville est à considérer au cas par cas, Philippe Collet, Actu-environnement, 2012, disponible sur : www.actu-environnement.com/ae/news/zone-30-efficacite-pollution-qualite-air-16999.php4
  11.  Bruit, pollution, sécurité : quel impact aura la vitesse réduite sur le périph, Mathilde Gérard et Jonathan Parienté, Le Monde, 2013, disponible sur : www.lemonde.fr/politique/article/2013/12/18/bruit-pollution-securite-quel-impact-aura-la-vitesse-reduite-sur-le-periph_4336011_823448.html et Rouler moins vite pour gagner du temps, APRR, 2013, disponible sur : www.aprr.fr/fr/actualites/rouler-vert-rouler-moins-vite-pour-gagner-du-temps
Crédit photo : European Roads CC BY NC 2.0