Doit-on encourager le transport aérien ?

L’avion bénéficie d’une image controversée. Si dans l’imaginaire collectif il symbolise, encore plus que la voiture, la liberté et les grands espaces, certains mettent en cause son utilisation au regard de son fort impact environnemental, en particulier climatique, et critiquent les avantages fiscaux dont il bénéficie. Alors, faut-il encourager ou limiter le transport aérien ?

L’avion bénéficie d’une image controversée. Si dans l’imaginaire collectif il symbolise, encore plus que la voiture, la liberté et les grands espaces, certains mettent en cause son utilisation au regard de son fort impact environnemental, en particulier climatique, et critiquent les avantages fiscaux dont il bénéficie. Alors, faut-il encourager ou limiter le transport aérien ?

Le transport aérien est difficilement comparable aux autres modes de transport, du fait de ses spécificités. Il est le plus souvent utilisé pour des déplacements de longue ou très longue distance, quand il apporte un réel gain de temps ou quand une solution de substitution ne peut pas être trouvée (par exemple réunion en audio/visioconférence pour les déplacements professionnels). Il est également de plus en plus choisi pour des déplacements de quelques centaines de kilomètres, en particulier en raison de son coût relativement peu élevé pour le voyageur.

L’augmentation de son usage est notamment liée aux avantages spécifiques accordés actuellement à ce mode de transport, qui favorisent son développement. Ses émissions de gaz à effet de serre sont, en grande partie, exclues des bilans nationaux et des obligations de réduction conclues dans le cadre du Protocole de Kyoto, et les subventions et avantages fiscaux dont il bénéficie sont nombreux. Pour autant, l’utilisation de l’avion n’est pas sans conséquence.

Le transport aérien entraîne de forts impacts environnementaux entre autres d’importantes émissions de gaz à effet de serre. La pertinence de son usage doit donc être questionnée : s’il peut être légitime sur certains trajets, sa généralisation n’est pas soutenable dans une perspective de lutte contre le dérèglement climatique.

Les usages de l’avion

Environ 50 % des français déclarent avoir déjà pris l’avion, dont 18 % au cours des 12 derniers mois. Les vacances et les loisirs sont le principal motif de déplacement en avion (près de 70 %), tandis que les usages professionnels représentent moins d’un tiers des vols.

Usages-prives-professionnels_Deplacements-avion
Figure 1 : Part des usages privés et professionnels dans les déplacements en avion, selon le type de vol. Départs situés en France métropolitaine – Source : DGAC, Enquête Profil des passagers aériens 2013-2014

L’utilisation de l’avion a nettement augmenté au cours des vingt dernières années : entre 1994 et 2008, les passagers.km ont connu une hausse d’environ 50 %1. Les vols à l’étranger sont les principaux responsables de cette hausse : en 1995, près de la moitié des déplacements aériens se faisait en France2, contre 29 % aujourd’hui3.

Les impacts environnementaux

Les déplacements en avion ont de forts impacts environnementaux : consommations d’énergie fossile, émissions de gaz à effet de serre, nuisances sonores, etc.

Consommations d’énergie et émissions de gaz à effet de serre

En France, l’avion est le deuxième mode de transport le plus consommateur d’énergie. En 2013, il a été responsable de 15 % des consommations, après la route (80 %) et devant le rail (2,8 %) et la navigation (0,8 %).

Les vols internationaux ont une consommation d’énergie de 40 gep/pass.km et entraînent des émissions de gaz à effet de serre de 145 geqCO2/pass.km. Ces chiffres sont évalués à 76 gep/pass.km, et 242 geqCO2/pass.km pour le transport aérien domestique4, mode de déplacement national le plus émetteur de gaz à effet de serre (voir graphique ci-dessous)5.

Efficacite-environnementale_transport-passagers_national
Figure 2 : Efficacité environnementale des transports de passagers sur des distances nationales

Pour de longues distances (cf. graphique ci-dessus), le train, suivi du bus, est le moyen de transport le moins émetteur de gaz à effet de serre. À taux de remplissage comparable, un voyage Paris-Marseille produit environ 10 fois moins de CO2 en train qu’en avion6,7.

Au niveau mondial, le transport aérien est responsable de 5 % du changement climatique lié aux activités humaines, alors qu’il n’est utilisé que par une très faible minorité de la population8. En plus du CO2, l’avion émet des oxydes d’azote et du dioxyde de soufre. Par ailleurs, ses trainées de condensation réchauffent la surface de la Terre. Au total, le secteur aérien contribue autant au dérèglement climatique que le 7ème pays le plus émetteur de gaz à effet de serre9. D’ici 2020, les émissions mondiales de l’aviation internationale seront environ 70 % plus élevées qu’en 2005, même en supposant une amélioration du rendement énergétique de 2 % par an. Dans le cadre d’un scénario tendanciel poursuivant les tendances actuelles, l’organisation de l’aviation civile internationale (OACI) prévoit une hausse des émissions comprises entre 300 et 700 % d’ici 205010.

Au regard des enjeux environnementaux – et notamment du dérèglement climatique -, il n’est pas envisageable que le secteur aérien connaisse une telle progression : cette perspective de développement n’est pas soutenable. Il faut au contraire viser une baisse de l’usage du transport aérien. À titre d’exemple, les émissions de gaz à effet de serre générées pour chaque passager par un aller-retour Paris-New-York en avion correspondent approximativement à l’ensemble du « budget d’émissions » maximal par personne pour une année, tous secteurs confondus (habitat, transports, alimentation, …). Cette comparaison montre à quel point la généralisation du transport aérien ne peut s’envisager.

Malgré ce bilan peu flatteur, l’avion est exempté de toute réglementation de réduction de ses gaz à effet de serre, contrairement aux autres modes de transport. En effet, le Protocole de Kyoto (signé en 1997), seul traité international de réduction des gaz à effet de serre à ce jour, ne couvre que les vols domestiques et ne concerne pas le transport aérien international10. L’OACI était chargée de réglementer les émissions en provenance des vols internationaux dans le cadre du Protocole de Kyoto, mais aucun accord n’a été trouvé depuis 1997.

Face à cette inertie, l’Union européenne a décidé d’inclure le secteur aérien au sein de son marché de quotas d’émissions de gaz à effet de serre. Cette mesure est en vigueur depuis le début 2012, malgré une levée de boucliers de la part de très nombreux pays et compagnies aériennes.

Une législation fiscale bienveillante, des subventions importantes

Taxe sur les carburants et TVA

Le transport aérien bénéficie d’avantages fiscaux. En vertu de la Convention de Chicago signée par certains États en 1944, les vols internationaux échappent à toute taxe sur le carburant. Le kérosène est le seul carburant d’origine fossile dont la consommation ne supporte aucune taxe : pas de TVA, ni de taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques. De surcroît, les billets d’avion sont assujettis à un taux réduit de TVA (10 % sur les voyages domestiques) quand ils n’en sont pas complètement exemptés (billets internationaux)9.

La baisse du prix occasionnée par l’exonération de la Taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) est estimée à 14 % par la Direction générale des douanes et des droits indirects. Plus largement, le manque à gagner annuel pour l’État français, lié aux niches fiscales accordées au secteur aérien, est évalué entre 1,2 et 1,42 milliards d’euros par an. Pour les vols intérieurs, à raison de 30 millions de passagers annuels, cela représente un cadeau de 40 euros par voyage9.

Enfin, le transport aérien est, de fait, exclu du périmètre de la taxe carbone française mise en œuvre depuis 2014 sous la forme d’une composante carbone intégrée aux taxes énergétiques. Cela représente un autre manque à gagner pour l’État et une nouvelle aide apportée au secteur aérien.

Subventions au secteur aérien

À cette législation fiscale favorable s’ajoute en France une dépense publique de 10 milliards d’euros en subventions directes aux aéroports et lignes aériennes, entre l’an 2000 et l’été 20139.

Ces subventions sont de trois types11 :

  • aides de l’État en faveur des investissements dans les infrastructures aéroportuaires,
  • aides des collectivités au fonctionnement des aéroports régionaux,
  • aides de l’État et des collectivités favorisant l’arrivée de compagnies aériennes.

Enfin, certaines aides visent à assurer la « continuité territoriale », pour soutenir le transport aérien à destination des régions et territoires d’outre-mer.

Les aéroports de province, désormais décentralisés, bénéficient presque tous de subventions d’investissement, qui, s’ajoutant à d’autres contributions, couvrent parfois la quasi-totalité des dépenses aéroportuaires. C’est par exemple le cas de l’aéroport de Grenoble-Isère. En dehors de cet extrême, le taux de subventionnement atteint souvent plus de 70 % : à Beauvais, un programme de 12 millions d’euros en 2005-2006 a été financé à 74 % par la Région, le Département et la Communauté d’agglomération ; au Havre, la Région, le Département et la Communauté d’agglomération ont aussi financé 73 % du coût d’une bretelle d’accès sur l’aéroport ; à Caen, le réaménagement de la plate-forme entre 2000 et 2004 a été financé à près de 90 % par des subventions d’équipement, d’un montant de 4,8 millions d’euros12. Peu d’activités bénéficient, sur le long terme, d’un tel soutien !

Les aides versées aux compagnies low-cost sont également importantes. Elles s’apparentent plus à des subventions d’exploitation pérennes qu’à des aides au démarrage, transitoires et dégressives13.

Comment diminuer l’impact environnemental du secteur aérien ?

L’efficacité énergétique des avions s’améliore par le perfectionnement des réacteurs, l’amélioration de l’aérodynamisme, l’utilisation d’hélices, la réduction du poids avec les matériaux composites, ou encore l’assistance par ordinateur à la navigation, qui optimise les trajectoires (notamment en montée et en approche).

Le choix des itinéraires constitue une autre piste de réduction des consommations d’énergie : l’utilisation de plus petits avions pour les aéroports plus modestes limiterait le nombre de vols avec correspondance, et diminuerait les distances parcourues, les consommations et les émissions.

Le choix de la motorisation mérite également d’être questionné. Outre les gains réguliers que réalisent les avionneurs, des solutions renouvelables, en particulier électriques ou hybrides, sont envisageables, à très long terme, pour les déplacements en avion. Le Solar Impulse14 (avion solaire) comme le Sugar15 Volt (avion à motorisation hybride) de Boeing en sont les premières étapes, même si ce type de motorisation ne pourra se généraliser. L’utilisation des agro-carburants, seuls ou en complément du kérosène, est une autre piste étudiée. Elle pose néanmoins de nombreuses autres questions : occupation de l’espace, pollution des eaux et du sol, concurrence avec la production alimentaire, etc.

Pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien, ces différentes voies doivent être davantage approfondies, mais leur impact restera marginal si les prévisions de développement de ce mode de transport se confirment. Inverser la tendance et envisager une trajectoire soutenable demande d’abord de redéfinir la place de l’avion, en modérant son usage ; il ne doit être utilisé qu’à titre exceptionnel.

Cela implique des changements comportementaux. Pour ses vacances, on peut ainsi privilégier une destination accessible en train plutôt que parcourir plusieurs milliers de kilomètres. L’utilisation des nouveaux moyens de communication (audio/visioconférences) permet également de diminuer le recours à l’avion, notamment pour les déplacements d’ordre professionnel. Ces modes de communication virtuelles représentent de plus, pour les entreprises, des gains de temps, ainsi qu’une diminution des frais et du stress dus aux voyages.

Lorsque le déplacement est indispensable, le mode le moins émetteur de gaz à effet de serre est à privilégier : un trajet Paris-Marseille ne prend pas plus de temps en train qu’en avion.

Le transport aérien est un secteur en croissance, bénéficiant d’aides et d’exemptions diverses de la part des États et des collectivités. Cela fausse son prix pour l’usager et défavorise ses concurrents, en particulier les transports ferroviaires, dont l’impact sur l’environnement est beaucoup plus faible. La question posée par le transport aérien est celle d’un choix de société. Que souhaite-t-on collectivement développer : des transports collectifs moins nocifs pour le climat, ou un mode plus consommateur, fortement émetteur de gaz à effet de serre ?

Au-delà de l’amélioration de l’efficacité énergétique des avions et du choix de la motorisation, la non-soutenabilité du transport aérien impose, au regard des enjeux climatiques, de freiner son développement. S’il était facturé à son véritable coût, sans subvention et en intégrant les impacts environnementaux générés, ce type de déplacement reviendrait à un usage plus exceptionnel, quand aucune autre solution n’est envisageable.

Le scénario négaWatt n’a pas exclu l’avion comme moyen de déplacement mais l’a pris en compte dans sa modélisation. Le transport aérien international n’est généralement pas intégré dans les scénarios de prospective énergétique, notamment parce qu’il est exclu du protocole de Kyoto. Dans le scénario négaWatt il a été intégré. Les déplacements en avion sont donc distingués entre déplacements domestiques et déplacements internationaux.

L’avion n’est pas banni du scénario négaWatt, mais, comme pour tous les autres moyens de transport, il est utilisé là où il est le plus pertinent : sur les trajets de plus de 800 km, qui ne sont pas desservis par des lignes de train à grande vitesse. Et son utilisation est plus ponctuelle qu’aujourd’hui.

  1. Enquête nationale Transports et déplacement, ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, 1994 et 2008, disponible sur : www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sources-methodes/enquete-nomenclature/1543/139/enquete-nationale-transports-deplacements-entd-2008.html
  2. Enquête nationale des passagers aériens (ENPA), ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, 2008, disponible sur : www.developpement-durable.gouv.fr/Les-Francais-et-l-utilisation-du.html
  3. Enquête Profil des passagers aériens 2013/2014, Direction du Transport Aérien, ministère de l’écologie, du Développement durable et de l’Énergie, Rapport du 5 septembre 2014, disponible sur : www.developpement-durable.gouv.fr/Enquete-Nationale-des-Passagers,41391.html
  4. On parle de transport aérien domestique quand le décollage et l’atterrissage ont lieu dans le même pays.
  5. Chiffres-clés climat, air et énergie, Ademe, 2014, disponible sur : www.ademe.fr/chiffres-cles-climat-air-energie-2014
  6. Optimiser ses déplacements, Ademe, 2015, disponible sur : www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/guide-pratique-optimiser-ses-deplacements.pdf
  7. On observe plutôt un facteur 50 qu’un facteur 10 sur la figure 2. Cette différence est due au taux de remplissage qui n’est pas identique. Sur la figure, il correspondant mieux à la situation réelle (les navettes – vol cadencé sur une destination donnée comme Paris-Nice – ont des taux de remplissage assez faibles en comparaison des trains grandes lignes/TGV).
  8. À ce sujet, la vidéo référencée ci-après montre l’origine et la destination des vols à travers le monde : radar.zhaw.ch/resources/airtraffic.wmv. On y voit que le grande majorité du transport aérien se concentre dans quelques pays.
  9. Salon du Bourget, le transport aérien payé pour réchauffer le climat, Réseau d’Action Climat, 2015, disponible sur : www.rac-f.org/Salon-du-Bourget-Le-transport
  10. www.euractiv.fr
  11. europa.eu/rapid/press-release_IP-14-172_fr.htm
  12. Les aéroports français face aux mutations du transport aérien, Cour des comptes, 2008, disponible sur : www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Les-aeroports-francais-face-aux-mutations-du-transport-aerien
  13.  Analyse économique des aides publiques versées par les aéroports régionaux aux compagnies low cost, Estelle Malavolti, Frédéric Marty, 2012, disponible sur : hal.archives-ouvertes.fr/hal-00614952/document
  14. Solarimpulse : www.solarimpulse.com
  15. Sugar signifie Subsonic Ultra Green Aircraft Research.
Crédit photo : Jonathan CC BY-NC-SA 2.0