Les énergies renouvelables font-elles reculer les énergies fossiles ?

Les énergies renouvelables connaissent depuis quelques années une forte croissance, tirée notamment par l’éolien et le photovoltaïque. Mais cette production, saluée pour son caractère non carboné, ne semble pas empêcher le développement d’une consommation toujours plus élevée de charbon et d’autres énergies fossiles. Ce constat est-il juste ? Et les énergies renouvelables sont-elles responsables de cette situation ?

Les énergies renouvelables connaissent depuis quelques années une forte croissance, tirée notamment par l’éolien et le photovoltaïque. Mais cette production, saluée pour son caractère non carboné, ne semble pas empêcher le développement d’une consommation toujours plus élevée de charbon et d’autres énergies fossiles. Ce constat est-il juste ? Et les énergies renouvelables sont-elles responsables de cette situation ?

Les énergies renouvelables s’inscrivent dans la transition énergétique comme la solution privilégiée de substitution aux énergies fossiles. Pourtant, leurs détracteurs prétendent que la croissance des énergies renouvelables ne permet aucune baisse du recours au gaz, au pétrole et surtout au charbon. Ils dénoncent ainsi le soutien apporté aux nouvelles filières telles que l’éolien et le photovoltaïque.
Il faut en réalité deux conditions pour que cette substitution entre énergies fossiles et renouvelables s’opère. La première est que les renouvelables se développent suffisamment rapidement. C’est le cas aujourd’hui au plan mondial. Mais ce mouvement, très récent et manifeste surtout dans l’électricité, ne peut pas produire immédiatement des effets à l’échelle de l’ensemble du système énergétique. Il faudra attendre quelques années pour que les renouvelables, grâce au niveau de déploiement auquel elles peuvent prétendre, aient la capacité de transformer le bilan énergétique mondial.
L’autre condition, indépendante de la source d’énergie, est d’éviter que la demande globale  augmente plus vite que la croissance des renouvelables. La maîtrise de la consommation doit donc progresser davantage pour permettre aux renouvelables, qui assurent leur part de l’effort, d’opérer cette transformation.

L’essor des énergies renouvelables, sur lequel tous les observateurs s’accordent, se ferait-il en pure perte ? Pour certains acteurs, le soutien dont elles bénéficient est manifestement très contestable, notamment par rapport au nucléaire, avec lequel elles seraient en concurrence pour produire de l’énergie sans carbone. Un de leurs principaux arguments consiste à affirmer que l’impact de la croissance des énergies renouvelables sur l’évolution des énergies fossiles est négligeable.

Par exemple, selon les bilans annuels de l’énergie dans le monde établis par BP1, la consommation d’énergie primaire d’origine fossile a augmenté beaucoup plus rapidement que celle des énergies renouvelables entre 2000 et 2014. Dans l’extrait de présentation ci-dessous (figure 1)2, la consommation de charbon a augmenté 35 fois plus que celle du solaire, et 10 fois plus que celle de l’éolien. De là à en déduire que les investissements subventionnés dans les renouvelables sont un gaspillage insupportable et contre-productif, il n’y a qu’un pas… que certains analystes s’empressent de franchir.

La réalité est pourtant bien différente, dès lors qu’on se donne la peine d’analyser un peu plus précisément les chiffres.

31.Fig 1

Figure 1 : Analyse de l’évolution de la consommation mondiale d’énergie primaire par source entre 2000 et 2014 (selon les conventions utilisées par BP).

Les chiffres bruts présentés dans la figure 1 ci-dessus sont corrects. À quelques nuances près, les bilans établis par BP pour l’année 2000 et l’année 2014 font bien apparaître un tel différentiel. Mais entre intégration des agrocarburants dans le comptage du pétrole, oubli total de la chaleur d’origine renouvelable et comptabilité spéciale des renouvelables électriques, ces chiffres obéissent à des conventions peu favorables à la comparaison (voir encadré). Si la tendance qu’ils dessinent est bien réelle, les chiffres extraits de ce bilan pour comparer les progressions respectives du charbon, de l’éolien et du photovoltaïque méritent d’être discutés. Pour faciliter l’analyse, l’explication qui suit s’appuie cependant également sur les chiffres de BP.

Bilan BP : une base de comparaison pratique mais peu pertinente

Le bilan énergétique proposé par BP présente l’intérêt de fournir des séries détaillées dans la durée, construites selon une méthodologie stable, permettant d’établir des comparaisons sur une période relativement longue. Mais cette méthodologie est très spécifique3, en particulier pour les chiffres en « consommation d’énergie primaire » utilisés.

Une comptabilisation très incomplète des énergies renouvelables

Cette comptabilité repose globalement sur le calcul d’un équivalent en énergie primaire des produits transformés que constituent les carburants et combustibles solides d’une part, et l’électricité d’autre part. Pour les énergies fossiles, il s’agit du contenu énergétique  du charbon sous ses différentes formes commercialisées, du gaz naturel et des produits pétroliers raffinés. Lorsque du gaz ou du charbon est consommé sous forme liquéfiée (ce qui reste aujourd’hui marginal), il est assimilé à du pétrole et figure dans la consommation de ce dernier.
Plus gênant encore pour la présente discussion, la même logique est appliquée aux agrocarburants. Ceux-ci sont évidemment séparés dans la production d’énergie primaire, mais au lieu d’être intégrés à la biomasse, ils sont rassemblés en termes de consommation d’énergie primaire avec celle de pétrole, qui n’est donc pas que fossile. Celle-ci, ainsi d’ailleurs que les autres postes associés aux énergies renouvelables, ne comprend que la consommation associée à la production d’électricité.
L’exclusion est donc très large, puisque le bilan BP n’inclut aucune consommation d’énergie renouvelable destinée à la production de chaleur. Cette omission s’explique initialement par le fait que le bilan ne traite que l’énergie commerciale, et n’intègre donc pas, par exemple, la consommation traditionnelle de bois pour le chauffage ou la cuisson. Celle-ci, qui représente plusieurs pourcents de la consommation d’énergie primaire mondiale (et 9 % de la consommation d’énergie finale4), constitue pourtant historiquement dans le monde la première source d’énergie renouvelable – et de loin ! Le maintien de cette convention conduit également à sortir du bilan énergétique la production de chaleur par la géothermie ou l’énergie solaire.

Un comptage particulier des énergies renouvelables électriques

Le bilan BP utilise enfin une convention très spécifique pour comptabiliser le nucléaire d’une part et les énergies renouvelables électriques d’autre part. Ces productions électriques s’appuient en effet sur une ressource dont le contenu énergétique intrinsèque ne peut pas être mesuré comme celui des énergies fossiles. La question de leur contenu en énergie primaire est donc un problème classique. Pour y remédier, l’Agence internationale de l’énergie fixe par convention5 le coefficient applicable pour remonter au contenu primaire de chacune de ces productions : l’hydroélectrique, l’éolien ou le photovoltaïque ont un rendement primaire/final de 100 % alors que le nucléaire a un rendement de 33 %, ce qui, dans une comparaison en énergie primaire, montre pour une production d’électricité équivalente, une contribution du nucléaire trois fois plus importante à celle de l’hydraulique, de l’éolien ou du photovoltaïque.
Les statistiques BP n’utilisent pas ces conventions, mais un calcul d’équivalence avec une énergie fossile : pour elles, toute production d’électricité nucléaire ou renouvelable est considérée comme équivalente à la production par une centrale thermique de 38 % de rendement. Le bilan lui affecte donc un contenu en « consommation primaire » équivalent à l’énergie fossile que consommerait cette même production, soit 2,6 fois sa valeur en électricité. Ce mode de calcul aboutit à une représentation en énergie primaire plus équilibrée mais qui s’éloigne de la réalité physique.
La base de comparaison la plus juste serait la contribution de chaque filière à la satisfaction de la consommation en énergie finale, et non en énergie primaire. Mais on ne dispose pas de ces chiffres au niveau mondial, sauf pour l’électricité, qui peut faire alors l’objet d’une comparaison spécifique.

L’accélération des énergies fossiles

Pour faire l’analyse des tendances actuelles, il faut commencer par les mettre en perspective. Le raisonnement proposé pour disqualifier l’apport des énergies renouvelables repose sur l’idée qu’il constitue la principale évolution du système énergétique depuis le début des années 2000, et que cette évolution devrait avoir déjà entraîné depuis plusieurs années des changements majeurs dans le mix énergétique mondial. On ne peut bien sûr évaluer ce constat qu’en replaçant l’évolution mesurée entre 2000 et 2015 dans une perspective un peu plus longue. Sans remonter au-delà de quelques décennies, la comparaison des évolutions entre 1985 et 2000 d’une part et entre 2000 et 2015 d’autre part est en soi éclairante (figure 2).

On constate en particulier deux choses. D’abord, la consommation d’énergies fossiles, toutes ressources confondues, s’est accélérée : tirée par une forte croissance de la demande mondiale d’énergie, sa croissance a été presque 2 fois plus forte sur la seconde période que sur la première.  Le second constat est que l’équilibre entre énergies fossiles a sensiblement évolué. Ainsi, le charbon, que l’on pensait en déclin à la fin du siècle dernier, n’a représenté que 14 % de l’augmentation des énergies fossiles entre 1985 et 2000. Mais, porté notamment par le développement de son utilisation dans les pays émergents, il a représenté 39 % de l’augmentation des énergies fossiles entre 2000 et 2015. En valeur absolue, sa croissance a été 4,8 fois plus rapide sur la seconde période que sur la première.

31.Fig 2

Figure 2 : Évolution de la consommation mondiale d’énergie primaire par source :
solde entre 1985 et 2000, puis entre 2000 et 2015 (selon les conventions utilisées par BP).

À l’échelle du système énergétique mondial, le fait le plus marquant de la période 2000-2015 n’est donc pas le développement des énergies renouvelables mais une double accélération : celle de la consommation d’énergie en général, et celle du charbon en particulier. Cette évolution s’explique par différents facteurs démographiques, économiques et politiques : compétitivité des énergies fossiles soutenues par des subventions et ne couvrant pas leurs externalités environnementales et sociales, faiblesse des politiques d’efficacité énergétique, etc.

Le décollage des énergies renouvelables

Pendant la période 2000-2015, la croissance massive de la consommation a eu pour effet d’écraser l’impact du développement, pourtant réel, des énergies renouvelables, dont l’essor a été comparativement bien plus rapide. Par exemple, l’augmentation de la consommation primaire d’énergies renouvelables, telle que mesurée par BP, a été 3 fois plus forte sur 2000-2015 que sur 1985-2000, toutes filières confondues, et même 8 fois plus forte hors hydroélectricité.
Cette évolution contraste notamment avec celle du nucléaire. Celui-ci a contribué pour 11 % à l’augmentation de la consommation d’énergie primaire au sens de BP entre 1985 et 2000, mais il est ensuite resté quasiment stable entre 2000 et 2015. Les énergies renouvelables, toutes catégories confondues, ont vu leur contribution à la croissance de la consommation d’énergie primaire passer de 9 % entre 1985 et 2000 à 16 % entre 2000 et 2015.
Cette croissance est fortement tirée par des filières nouvelles. L’éolien et le photovoltaïque, notamment, se situaient encore en 2000 à des niveaux très faibles de production. Si leur croissance est restée en valeur absolue plus faible que celle des filières dominantes entre 2000 et 2015, leur dynamique de développement est beaucoup plus forte, et montre un véritable décollage. Ainsi, la consommation d’énergies fossiles a connu une croissance annuelle moyenne allant de 1,2 % pour le pétrole à 3 % pour le charbon. Par comparaison, le taux moyen de croissance de l’éolien a été sur la même période de 23 % par an, et celui du photovoltaïque de 43 % (figure 3).

31.Fig 3

Figure 3 : Consommation mondiale d’énergie primaire par source en 2000, solde entre 2000 et 2015, et taux moyen de croissance annuelle par source entre 2000 et 2015 (selon les conventions utilisées par BP).

Des filières récentes en plein devenir

Aujourd’hui, le développement des nouvelles filières renouvelables connaît en réalité une croissance de type exponentiel. Son impact sur le bilan énergétique s’accélère donc au fil du temps. Là encore, les progressions moyennes mesurées sur la période 2000-2015 donnent toutefois une vision écrasée, notamment par rapport à la dynamique qu’ont connue les filières éolienne et photovoltaïque ces dernières années. On mesure mieux cet effet lorsqu’on regarde les évolutions sur des périodes récentes plus courtes (figure 4).
La dynamique respective des énergies fossiles et renouvelables apparaît plus clairement lorsqu’on mesure par exemple les évolutions de 2000-2015 en découpant cette période en tranches de cinq ans. La répartition de la progression de chacune des sources énergétiques (telles que comptabilisées par BP) selon ces tranches est alors très différente. Elle se ralentit particulièrement pour le charbon alors qu’elle s’accélère pour le photovoltaïque ou l’éolien.

31.Fig 4

Figure 4 : Répartition par tranche de 5 ans de l’évolution entre 2000 et 2015 de la consommation mondiale d’énergie primaire par source (selon les conventions utilisées par BP).

Ainsi par exemple, en rapportant à 100 % la croissance de la consommation d’énergie primaire par source entre 2000 et 2015 (figure 5), on constate que 51 % de la croissance pour le charbon a eu lieu entre 2000 et 2005. Par contre, 62 % de l’augmentation de l’éolien et 87 % de l’augmentation du photovoltaïque ont eu lieu entre 2010 et 2015.

31.Fig 5

Figure 5 : Répartition en pourcentage, par tranche de 5 ans, de l’évolution de la consommation mondiale d’énergie primaire par source entre 2000 et 2015 (selon les conventions utilisées par BP – les totaux peuvent parfois être différents de 100 % du fait des arrondis).

Un rôle des renouvelables de plus en plus significatif

Au vu des dynamiques en cours, remonter à 2000 pour mesurer une évolution cumulée ne permet pas d’observer réellement l’impact récent des énergies renouvelables. Ainsi, l’image négative associée à l’évolution sur la période 2000-2015 se nuance, voire s’inverse lorsqu’on se concentre sur les dernières années.
Entre 2000 et 2015, l’augmentation de la consommation primaire d’énergies fossiles (toujours au sens de BP) a été 5 fois plus rapide que celle de la consommation primaire équivalente d’énergies renouvelables. Sur la période 2010-2015, le ratio n’est plus que de 2,3, témoignant de la dynamique de rééquilibrage en cours (figure 6). Cette dynamique semble même s’inverser : entre 2014 et 2015, le ratio entre l’augmentation des énergies fossiles et celui des énergies renouvelables (toujours au sens du bilan BP) n’a été que de 1,1 (figure 7). En 2015, la progression en équivalent primaire des énergies dites « non carbonées » a été pour la première fois supérieure à celle des énergies « carbonées », avec 64,5 Mtep de croissance contre 62,1 Mtep. Au sein des énergies non carbonées, l’essentiel de la progression vient des renouvelables, avec 56,9 Mtep, contre 7,6 Mtep au nucléaire.

31.Fig 6

Figure 6 : Progression nette de la consommation mondiale d’énergie primaire par source entre 2010 et 2015 (selon les conventions utilisées par BP).

31.Fig 7

Figure 7 : Progression nette de la consommation mondiale d’énergie primaire par source entre 2014 et 2015 (selon les conventions utilisées par BP).

Un impact spécifique dans l’électricité

Ce tout récent rééquilibrage est dû autant au développement des énergies renouvelables qu’au recul significatif du charbon en 2015, de 71,3 Mtep (cf. figure 7 ci-dessus). Bien que l’on ne dispose pas à ce stade de données consolidées sur l’électricité en 2015 pour appuyer cette hypothèse, il semble que c’est dans ce secteur que s’est produit l’essentiel de cette baisse. Selon certaines estimations, la production d’électricité à base de charbon pourrait avoir reculé de plus de 300 TWh entre 2014 et 2015. En d’autres termes, le déploiement du photovoltaïque et de l’éolien atteindrait désormais un niveau suffisant pour permettre un recul de la production d’électricité à base de charbon : ce que leurs détracteurs leur reprochent – avec une certaine mauvaise foi – de ne pas avoir accompli à une phase trop précoce de leur développement semble en voie de se réaliser aujourd’hui.
C’est en effet plus spécifiquement dans le secteur électrique qu’il est le plus pertinent de mesurer l’impact des nouvelles énergies renouvelables, surtout si l’on se concentre sur l’éolien et le photovoltaïque. On y dresse, et de façon plus nette, le même constat que sur l’ensemble de l’énergie : mesurée par tranche de cinq ans sur la période 2000-20146, l’évolution de la production mondiale par énergie montre clairement un transfert de la dynamique de croissance au profit des énergies renouvelables (figure 8). Entre 2000 et 2005, la croissance d’électricité produite par les centrales thermiques a été pratiquement 5 fois supérieure à celle de l’électricité d’origine renouvelable. Mais entre 2010 et 2014, c’est la production d’origine renouvelable qui a augmenté 1,1 fois plus vite que celle d’origine fossile.

31.Fig 8

Figure 8 : Évolution de la production mondiale d’électricité par source et par tranche de cinq ans sur la période 2000-20147.

Cette dynamique est encore plus marquée si l’on considère la dernière année pour laquelle on dispose de statistiques de production mondiale d’électricité, c’est-à-dire 2014 (figure 9). La production d’électricité à base d’énergies fossiles a progressé cette année-là d’environ 34 TWh, de très loin sa plus faible augmentation annuelle depuis 2000 (à l’exception de la récession observée entre 2008 et 2009). L’électricité à base d’énergies fossiles ne représente que 11 % de l’augmentation de la production totale par rapport à 2013. La production d’origine renouvelable, qui a progressé de 219 TWh, a contribué à 72 % de cette augmentation. Entre 2013 et 2014, la production éolienne a progressé 4 fois plus que la production à base de charbon, et la production photovoltaïque 2,6 fois plus. On estime qu’en 2015, l’éolien a doublé son rythme de progression, le photovoltaïque accélérant lui aussi, alors que le charbon connaissait une baisse record.

31.Fig 9

Figure 9 : Évolution de la production mondiale d’électricité par source entre 2013 et 20148.

Les courbes des énergies fossiles et renouvelables semblent donc s’inverser au regard de ces évolutions récentes. Il est bien sûr trop tôt pour conclure définitivement qu’une nouvelle dynamique est en place. L’analyse fine des changements en cours permet néanmoins de penser que cette tendance va se poursuivre et s’accentuer dans les prochaines années. Ceci est d’autant plus probable si l’on prend en compte un effet d’entraînement vertueux. L’évolution de la production d’énergies renouvelables dépend essentiellement de l’installation de nouvelles capacités. Celle des énergies fossiles dépend en partie de nouvelles capacités, mais plus largement de l’utilisation plus ou moins poussée et du maintien en service (ou non) des énormes capacités déjà installées. Ces capacités créent un obstacle économique au développement des renouvelables, d’autant plus grand que le coût d’investissement des renouvelables est comparativement plus élevé. Mais à l’inverse, leur faible coût de fonctionnement devrait conduire à réduire le taux d’utilisation des centrales thermiques, donc de leur rentabilité, ce qui favorise à terme leur fermeture.

Un effort nécessaire sur la demande

Au final, il ne fait donc aucun doute que les énergies renouvelables ont atteint ces dernières années un niveau de développement tel qu’elles peuvent désormais légitimement prétendre jouer un rôle dans la transformation du système énergétique, et tout particulièrement du système électrique. Mais il ne suffit pas que les renouvelables progressent pour que la consommation d’énergie fossile diminue.
En effet, l’impact sur les énergies fossiles est le solde du développement des énergies renouvelables (et du nucléaire, dont la contribution n’est toutefois pas du même ordre de grandeur) et de l’ensemble de la demande d’énergie. Il faut que la consommation totale d’énergie diminue, ou qu’au moins elle augmente moins vite que la production d’énergie renouvelable, pour que celle-ci se substitue effectivement aux énergies fossiles, et permette ainsi leur réduction. Si, au contraire, la consommation augmente plus vite que les renouvelables, celles-ci contribuent partiellement en addition, et ne peuvent que ralentir, mais sans l’empêcher, une poursuite de la croissance des énergies fossiles.
Ainsi, pour un niveau de développement donné des renouvelables, c’est bien le niveau de maîtrise de la consommation d’énergie qui est déterminant pour passer d’une logique d’addition à une logique de substitution. Les renouvelables répondent aujourd’hui au défi de leur croissance. On peut même s’attendre encore à une accélération de leur développement. Toutefois, cette accélération ne peut aller au-delà des contingences de déploiement industriel, de montage de projets et de mise en œuvre. Un effort accru sur la maîtrise de la demande reste donc indispensable pour atteindre puis amplifier un véritable mouvement de substitution. Cet effort doit être réparti au niveau mondial : il faut bien sûr différencier les zones restant en développement, où la croissance de la consommation d’énergie doit être maîtrisée mais reste nécessaire, et les zones industrialisées en surconsommation, où l’effort d’efficacité et de sobriété permettra une réduction de la demande.
L’analyse qui précède montre que si ce point d’inflexion n’est pas encore atteint, l’évolution du système énergétique s’en approche. Parallèlement à la montée en puissance des renouvelables, on observe en effet un ralentissement de la croissance de la consommation mondiale d’énergie primaire. Celle-ci a, selon les bilans de BP, augmenté de 1,5 % par an en moyenne entre 2010 et 2015, contre 2,2 % par an entre 2005 et 2010, et 3,1 % entre 2000 et 2005.

Si ces deux tendances – progression des énergies renouvelables, ralentissement de la croissance de la consommation – se confirment, le rythme de croissance des énergies renouvelables pourrait durablement dépasser dans les années qui viennent celui de la consommation d’énergie. La baisse du charbon observée en 2015 apparaitrait alors comme le premier signe d’une transition énergétique mondiale des énergies fossiles vers les énergies renouvelables. Le chemin à parcourir reste long. Mais il engage à sortir du déni de la capacité des renouvelables à faire leur part.

Il est de bon ton, pour les détracteurs des énergies renouvelables, de souligner l’incapacité de celles-ci à faire reculer l’usage des énergies fossiles, malgré les efforts consacrés à leur développement. Cette charge s’avère toutefois infondée. Elle s’appuie d’abord sur une analyse biaisée, qui prétend notamment mesurer l’impact des renouvelables en remontant aussi loin que 2000 et en regardant toutes les formes d’énergie, alors que leur croissance concerne avant tout l’électricité et ne prend de l’ampleur que depuis quelques années. Au niveau mondial, l’augmentation de production éolienne et photovoltaïque sur l’année 2014 a, par exemple, été 6,8 fois supérieure à l’augmentation de la production électrique à base de charbon. Les renouvelables ont donc déjà le mérite de ralentir le développement des fossiles.
Les énergies renouvelables ont, en fait, atteint aujourd’hui un niveau de croissance qui leur permet de commencer à remplacer les fossiles. Mais il est nécessaire que la production renouvelable augmente plus vite que la demande d’énergie : c’est seulement ainsi que le solde en énergies fossiles diminuera. Cela n’a pas été le cas jusqu’ici faute d’un effort suffisant de maîtrise de la consommation – une défaillance dont les énergies renouvelables ne sauraient porter la responsabilité. Aujourd’hui, le mouvement semble engagé et les conditions sont donc réunies pour que, au-delà de la première baisse de la consommation de charbon enregistrée en 2015, la substitution des énergies fossiles par les énergies renouvelables s’opère et prenne progressivement de l’ampleur.
  1. Statistical Review Of World Energy 2015, BP, 2015, disponible ainsi que les bilans pour les années précédentes sur : www.bp.com/en/global/corporate/energy-economics/statistical-review-of-world-energy.html
  2. De Daech à la COP21, Jean-Marc Jancovici, conférence à l’ESPCI, 19 novembre 2015. La conférence filmée est disponible sur : www.youtube.com/watch?v=yiBrP7N9FkA ; le support de présentation est consultable ici : slideshare.net/JoelleLeconte/confrence-de-jancovici-lespci-19-novembre-2015-prsentation
  3. Pour en savoir plus sur la méthodologie suivie par BP, voir www.bp.com/en/global/corporate/energy-economics/statistical-review-of-world-energy/using-the-review/definitions-and-explanatory-notes.html
  4. Renewables 2016 – Global Status Report, REN21, 2016, disponible sur : www.ren21.net/wp-content/uploads/2016/06/GSR_2016_Full_Report1.pdf
  5. Pour en savoir plus sur la convention suivie par l’AIE, voir www.iea.org/statistics/resources/balancedefinitions/
  6. Jusqu’ici les comparaisons incluaient l’année 2015. Pour l’électricité, les données ne sont disponibles que jusqu’en 2014.
  7. Données agrégées par la Banque Mondiale, sur la base de données de l’Agence internationale de l’énergie. Base de donnée consultable ici : databank.worldbank.org/data/home.aspx
  8. Données agrégées par la Banque Mondiale, sur la base de données de l’Agence internationale de l’énergie. Base de donnée consultable ici : databank.worldbank.org/data/home.aspx
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